Chroniques
Quelques-unes des BD qui nous ont le plus marqués.
N’y voyez aucun a priori, aucune prise de tête, aucune volonté de gonfler nos egos mais tout simplement l’envie de vous faire partager nos impressions de lecture.
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TÉLÉMAQUE
- Par asbl-creabulles
- Le 12/03/2018
Tome 1: A la recherche d'Ulysse
Scénario : Kid Toussaint
Dessin : Kenny Ruiz
Couleurs : Noiry
Dépot légal : le 3 mars 2018
Editeur :
Collection : Dupuis "Tous Public"
Planches :54Dix ans déjà qu’Ulysse est parti mener la guerre contre Troie et aucune trace de lui ni des autres membres de l'équipage qui l'accompagnait. Devenue régente, son épouse Pénélope ne peut prendre aucune décision militaire et va devoir choisir un nouvel époux pour régner sur Ithaque. Leur fils Télémaque est encore trop jeune pour monter sur le trône et le danger peut survenir à tout moment, surtout depuis que Néoptolème, le fils d'Achille, s’est mis en quête de nouveaux territoires, dont Ithaque ! Ne faisant ni une ni deux, Télémaque décide de partir à la recherche de son père en commençant par l’endroit où il pense obtenir des réponses, chez le Roi de Pylos, Nestor, l’ancien compagnon d'armes de son père. Sur place Nestor annonce à Télémaque qu'Ulysse n'est plus et qu’il doit se faire à cette idée. Ce n'est pas l'avis de la princesse Polycaste, la fille de Nestor, qui voit aussi dans la venue de Télémaque une occasion de fuir un mariage forcé. Ensemble, ils se lancent à la poursuite d’Éole, le dieu des vents, pour savoir quelle direction prendre. Malgré l'arrogance de Télémaque, Polycaste va réussir à obtenir d'Éole qu’il les aide en leur donnant un coup de pouce en la "personne" de Zéphyr, le vent de l’Ouest. Bien d'autres surprises, bonnes ou mauvaises, attendent notre jeune équipe intrépide dans cette nouvelle quête: retrouver le Roi d'Ithaque.
Mon avis: Avec "Télémaque", Kid Toussaint nous emmène en mer retrouver les héros et dieux de la mythologie qui ont bercé notre enfance, mais dans une version très actuelle et une interprétation très libre qui fera peut-être grincer les dents des puristes mais qui devrait ravir la jeune génération avec ses nombreuses scènes rocambolesques. Et, qui sait, la pousser à en savoir davantage et à se documenter sur l'Odyssée d’Homère.
Avec des dessins bourrés d'énergie dans un style proche du manga tout en gardant les codes de la BD franco-belge, cette nouvelle série jeunesse a tout pour séduire les jeunes lecteurs. Kenny Ruiz, qui a déjà travaillé avec Kid Toussaint sur la série Magic 7, a su rendre Télémaque des plus sympathiques, des plus intrépides et téméraires, voire casse-cou, aux côtés de son équivalent féminin en la personne de la jolie princesse Polycaste. Elle ne se gêne pas pour lui dire ce qu’elle pense et même le remettre à sa place par de petites claques bien placées et au bon moment. Ces personnages, qui vont s'étoffer au fil du récit, sont bien typés et bien reconnaissables, formant une équipe hétéroclite des plus loufoques parfaitement maîtrisée par Kenny Ruiz.
Le récit est bien mis en valeur par la colorisation de facture classique et réussie de Noiry, apportant de la clarté et de la profondeur au dessin efficace et plaisant de Kenny Ruiz.
Une aventure agréable, pleine d’énergie et drôle dont on espère qu’elle attirera un nouveau public de jeunes lecteurs vers la BD.
SDJuan
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AKKINEN
- Par asbl-creabulles
- Le 09/03/2018
Akkinen - Eone Toxique
Roman graphique
Scénario: Iwan LÉPINGLE
Dessins et couleurs: Iwan LÉPINGLE
Dépôt légal: janvier 2018
Éditeur: Sarbacane
Nombre de pages: 100 pages"Alors, on a creusé. Les compagnies sont arrivées, dont Geotrupe, elles en ont trouvé, du sable bitumeux, et en grande quantité ! Et elles ont continué de creuser. Jusqu’à cinquante mètres de profondeur… ". Akkinen Zone toxique est un roman graphique réalisé par l’auteur Iwan LÉPINGLE.
En 2002, Iwan Lépingle, professeur de maths devient conteur en publiant "Kizilkum", sa première BD, chez Les Humanoïdes Associés. Puis suit "Rio Negro" en 2007 qui confirme son goût du voyage et des grands espaces.
Akkinen, qui vient de sortir aux éditions Sarbacane, est à la fois une chronique sociale, un drame écologique et un roman construit sous forme d’intrigue policière. Par le biais d’un dessin clair et précis, en bichromie, l’auteur nous raconte l’histoire de Gaspar et sa fille qui s’installent à Akkinen, une ville du Grand Nord. Tout le monde ici travaille plus ou moins pour Geotrupe, une entreprise d’exploitation de sables bitumeux dirigée par Elias, "un sacré numéro" mais surtout le frère de Gaspar.
Iwan Lépingle, nous, propose un roman graphique passionnant. L’intrigue est captivante et le suspense bien mené et soutenu tout au long des 100 pages de l’histoire. Les personnages sont attachants, expressifs. Si l’histoire tourne autour d’une exploitation de sables bitumineux – Geotrupe qui pourrit les eaux, dirige la ville et corrompt ses habitants – elle conte également de façon touchante et subtile les relations pères- filles et une histoire de frères. Le ton est juste. Akkinen c’est aussi la magie et la poésie: les sculptures robots d’Aslak, sa "douce folie" et les peintures de Tessie, fille de Gaspar. Et surtout, une leçon pour un retour à la Terre.
Ci-après un lien indispensable pour en apprendre davantage sur l’exploitation des sables bitumeux et son important impact environnemental https://fr.wikipedia.org/wiki/Sable_bitumineux .
Michel
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Le 3e Œil
- Par asbl-creabulles
- Le 02/03/2018
Le Sommeil Empoisonné
Scénario: Didier Tronchet
Dessins et couleurs: Baron Brumaire
Dépôt légal: 14 Février 2018
Editeur:
Nombre de pages: 54 pagesUn retour inattendu...ou un nouveau départ ?
Violine est une petite fille pas comme les autres imaginée par le duo Didier Tronchet et Fabrice Tarrin pour les éditions Dupuis. Après dix ans d’absence, Violine a grandi et elle nous revient adolescente avec un nouveau dessinateur: Baron Brumaire. Selon moi, il n'est pas indispensable d'avoir lu les albums précédents (ce qui est mon cas d’ailleurs) pour apprécier le nouveau triptyque des "aventures indiennes" de Violine. Il vous suffit de savoir que Violine a 16 ans et qu’elle lit dans les têtes.
Le synopsis: Violine se sert de ses pouvoirs particuliers pour tricher à l’école et en fait profiter les copains. Un jour, sa mère lui demande de les utiliser dans un but plus noble et d’essayer d’entrer en communication avec un jeune indien qui ne parle pas, Tsampa. Cet enfant est hanté par des rêves de serpent et est en danger. Violine décide de l’aider et s’embarque dans une histoire qui combine action et mystère autour d’un royaume maudit à la frontière de l'Inde.
Mon avis: Un scénario trépidant de Didier Tronchet pour une aventure à rebondissements pleine d’humour. C’est charmant, spontané, les personnages sont attachants et on ne s’ennuie pas tout au long des 54 planches de ce premier volet. J’ai été séduit par le graphisme vif et léger de Baron Brumaire, nouvel illustrateur du monde de Violine. Baron Brumaire, en parfaite osmose avec le récit en souligne le ton, l’ambiance et le rythme. Son dessin fluide – croquis dépouillé à l’ancienne, rehaussé d’une palette de couleurs vives – se démarque très agréablement de la production BD actuelle pour "jeune lectorat". Je vous conseille vivement l’achat de la BD "Le Sommeil Empoisonné": c’est neuf, frais et cela fait du bien.
À noter qu'il existe une première version inachevée du 3e Œil, dessinée par Jean-Marc Krings (successeur de Fabrice Tarrin pour les aventures de Violine), dont les 20 premières planches en noir et blanc sont parues sous forme d'album en 2013 chez "La Vache qui Médite". La présente chronique concerne la nouvelle version au scénario modifié et illustrée par Baron Brumaire.
Michel
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La FORME DE L'EAU
- Par asbl-creabulles
- Le 28/02/2018
Un film de Guillermo del Toro
Avec: Sally Hawkins, Michael Shannon, Richard Jenkins, Doug Jones
Genres: Fantastique, Drame, Romance
Nationalité: Américain
Date de sortie: 21 février 2018
Durée: 2h03Résumé: Modeste employée d’un laboratoire gouvernemental ultrasecret, Elisa mène une existence solitaire, d’autant plus isolée qu’elle est muette. Sa vie bascule à jamais lorsqu’elle et sa collègue Zelda découvrent une expérience encore plus secrète que les autres…
Avis: Un film d'une beauté rare qui m'a laissé sans voix.
Une histoire d'amour hors norme qui va au-delà des différences, des monstres humains plus laids et effrayants que les non humains... Et l'eau, l'onde et la douceur des remous, des va-et-vient de l'amour, de l'amitié et des sentiments.
Les femmes sont douces et fortes et les hommes sont pleutres.
La musique est belle et désuète, et l'ambiance rétro est magnifiquement rendue.
Le film baigne dans des couleurs vertes et rouille qui font penser à "La Cité des enfants perdus" de Jeunet. L'esthétique tient d'ailleurs une place très importante et Guillermo del Toro signe sans doute le plus beau film de sa carrière, dans la magnifique lignée du Labyrinthe de Pan et peut enfin rentrer officiellement au panthéon des très grands réalisateurs où il figurait déjà pour moi.
Frédéric Briones qui vient de créer son site: http://frederic-briones.com/
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Le CHIEN DE DIEU
- Par asbl-creabulles
- Le 27/02/2018
Le Chien de Dieu
Scénario: Jean Dufaux
Dessin: Jacques Terpant
Couleurs: Jacques Terpant
Dépôt légal: Novembre 2017
Editeur: Futuropolis
Nombre de pages: 67Deux après la sortie de "La cavale du Dr Destouches", scénarisé par Christophe Malavoy et mis en images par les frères Brizzi, Jean Dufaux nous raconte son propre "voyage au bout de Céline". Avec la complicité du dessinateur Jacques Terpant, toujours chez Futuropolis mais dans un tout autre genre, il nous propose une biographie subjective de la fin de vie de Louis-Ferdinand Céline.
Nous retrouvons Céline, Louis-Ferdinand Céline pour la littérature et Louis-Ferdinand Destouches pour l’état civil et la médecine, vieillissant à Meudon dans son pavillon en 1960. Entre cauchemars, angoisses et colères, entouré de sa fidèle épouse et de ses chiens, il peine à clôturer sa dernière trilogie, son ultime roman "Rigodon".
Par petites touches, en faisant basculer le lecteur d’une époque, d’un cauchemar ou d’un souvenir à l’autre, Dufaux nous fait un portrait expressif, humain et sensible de Céline. Tâche difficile car même au-delà qu’aient pu être ses aberrations idéologiques, Céline "a trainé dans l’ordure tout ce que l’existence pouvait présenter de valeurs positives". Le récit est décousu, inconfortable mais colle au personnage aigri qu’est Céline. Dufaux a lu Céline et le traduit avec succès.
Jacques Terpant, illustrateur, dessinateur et peintre, au trait particulièrement expressif et fort, soigne la mise en couleurs directe. En osmose complète avec Dufaux, il complète ses propos en produisant des lavis dans un style "cinématographique" fin années 50.
Une grande réussite !
Michel
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Les LOUVES
- Par asbl-creabulles
- Le 20/02/2018
One shot
Scénario: Flore Balthazar
Dessin: Flore Balthazar
Couleur: Flore Balthazar
Editeur:
Collection: Air Libre
Dépot légal: février 2018
Nombre de pages: 200Dès 1939, Marcelle et sa famille assistent impuissantes à la marche inéluctable vers une nouvelle guerre qui deviendra vite mondiale, ne sachant pas trop quoi faire face à l’arrivée de l’occupant allemand. Même après l’arrestation de leur père, la famille va continuer au quotidien de mener une vie plus ou moins normale. Mais au fur et à mesure que l'occupation s’étend en Belgique, les choses se compliquent dans chaque ville, dans chaque quartier et la liberté de chacun n'a plus vraiment de sens. Progressivement, on assiste à la formation de mouvements de résistance. Parmi les moyens de les soutenir, certains diffusent partout dans la ville des messages sous forme de tracts ou "taguent" sur les murs des signes très visibles de tous. Car à présent, il faut montrer aux Allemands que la résistance est bien présente et qu’elle sera prête à agir à la moindre occasion, à la moindre faille de leur part. Durant cette occupation, ces femmes belges, parmi lesquelles Marcelle et Yvette originaires de La Louvière, vont devenir "Les Louves", faisant tout leur possible pour protéger les leurs pendant que les hommes sont partis au front ou déjà prisonniers.
Mon avis: Entre faits réels et fiction, Flore Balthazar nous fait partager sa vision du journal intime de son aïeule, Marcelle Balthazar, du temps où, adolescente, elle vivait et subissait ces années de guerre. La jeune Marcelle a essayé de vivre son adolescence du mieux qu'elle pouvait durant cette période tragique de l'histoire. Nous partageons ses moments de peur, ses doutes, surtout lors de la capture de son père, mais aussi ses moments de tendresse et de complicité au sein de sa famille ou avec ses amies.
L’album est aussi un témoignage émouvant sur le courage des femmes pendant cette guerre qui est venue bouleverser les habitudes, comme la quête de nourriture ou encore l’obligation d’intégrer l’école des garçons où les filles sont cachées, enfermées même, dans le vestiaire durant la récréation. Flore Balthazar aborde évidemment la condition des femmes à cette époque, victimes de vols, de menaces, de provocations, contraintes et forcées lors d’interrogatoires musclés et exposées à la haine. Malgré tout, même s’il faut garder présent à l'esprit que le danger est partout, il y a aussi des moments d’espoir et de répit, rencontres d’un jour, rencontres amoureuses et toutes ces choses de la vie, tous ces gestes qui vont faire que chacun avec ses faibles moyens va contribuer autant que possible au bien-être des autres. Il y a aussi l'implication directe de sa meilleure amie au sein de la résistance, preuve du courage voire de la témérité de ces "Louves".
Ce one shot est scénarisé mais aussi dessiné et mis en couleurs par Flore Balthazar. Son dessin va à l'essentiel, parfois sans aucune concession, parfois tendre, toujours clair et soigné et permettant une lecture aisée. Sur quelques pages, les cases contiennent uniquement des symboles divers et variés et se suffisent à elles-mêmes. Toute explication serait superflue. Flore Balthazar nous livre un roman graphique attachant par son trait et la justesse de son contenu, jamais exagérés, toujours dans la simplicité et l'efficacité. Auteure complète, elle nous démontre avec beaucoup de modestie qu'elle dessine très bien et maîtrise parfaitement son scénario.
NB: suppléments en fin d'album des plus intéressants venant complêter l'album avec en plus quelques photos émouvantes.
L’histoire de sa grand-tante Marcelle n'est pas prête d'être oubliée et la descendance des "Louves" de la Louvière est assurée.
Une exposition:
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Le TROISIÈME FILS DE ROME
- Par asbl-creabulles
- Le 18/02/2018
Tome 1 : Martius
Scénario : Laurent Moënard
Dessin : Stefano Martino
Couleurs : Stéphane Paitreau
Illustration de couverture: Pierre Loyvet
Dépot légal : Février 2018
Editeur :
Collection : Aventure
Nombre de pages : 54Tout le monde connaît l'histoire légendaire des fondateurs de Rome, Romulus et Rémus, ces jumeaux nés de l'union entre le dieu de la guerre Mars et la vestale Rhéa Silvia, fille de Numitor le 13e roi de la patrie au bord du Tibre. En fait, Rhéa n’aurait jamais dû avoir d’enfants car son oncle Amulius, après avoir détrôné son frère Numitor, le père de Rhéa, avait pris soin d’obliger celle-ci à devenir une vestale vouée à la chasteté. Furieux que Mars ait réussi à la mettre enceinte, Amulius fit jeter les bébés au fleuve et aurait violé sa nièce. Ce que l'on ne sait pas c'est que de cette union forcée serait né un troisième enfant, demi-frère de Romulus et Rémus. Le temps passant, ce troisième fils de Rome n'aura qu'une seule chose en tête, se venger de Romulus et Rémus car ceux-ci avaient assouvi leur propre vengeance en tuant Amulius pour remettre leur père Numitor sur le trône. Des siècles plus tard, le même besoin de vengeance contre Rome habite les descendants de la secte créée par les partisans du "troisième fils de Rome" dans le seul but de mettre au pouvoir à Rome un descendant de ce dernier. Martius, le fils adoptif d'un vieux sénateur romain, confié par les dieux à ce sénateur, descendant néanmoins de la patrie du bord du Tibre, va avoir la mission de protéger Rome et combattre ainsi l’Ordre du troisième fils de Rome.
Mon avis: Dès les premières pages, nous sommes en l'an 203 avant Jésus-Christ quand Martius reçoit la mission de sauver Rome. Si le récit ravive les souvenirs des cours d’histoire à l’école sur les origines de Rome, la version que nous en propose Laurent Moënard se révèle très différente car il s’est amusé à retravailler l'histoire avec un grand H. Dans sa version, Romulus et Rémus ont eu un frère et celui-ci va agir à l'encontre du destin de Rome que nous connaissons tous. Le scénariste met en scène les grands événements survenus à Rome au fil des siècles. Une nouvelle secte va voir le jour et Martius va devoir en combattre les membres. L'intrigue ne nous lâche plus du début à la fin mêlant complots, trahisons, meurtres.
Le dessin de Stefano Martino est globalement agréable. Il nous propose des illustrations très expressives et descriptives de l’époque romaine, les costumes, les paysages, les décors, palais, rues mais aussi des batailles navales, des combats entre soldats, et même l’attaque saisissante des éléphants. Les personnages sont plutôt expressifs même si sur l'une ou l'autre case, quelques visages paraissent très légèrement déformés (problème de couleur ?), mais ce léger défaut n'altère en rien la bonne qualité générale de l'album. L’aspect dramatique est également fort bien rendu.
Les couleurs de Stéphane Paitreau vont dans le même sens en donnant de la profondeur au dessin. -
KILL OR BE KILLED
- Par asbl-creabulles
- Le 17/02/2018
Tome 1
Scénario: Ed Brubaker
Dessin: Sean Philips
Couleurs: Elizabeth Breitweiser
Editeur:
Collection : Contrebande
Planches :125
Dépot légal: Janvier 2018Malgré son jeune âge, Dylan ne voit rien de positif dans la vie. Voir tout en noir est la seule forme de pensée qu’il connaît. Son mal-être existentiel l’a même déjà poussé au suicide, comme son père lorsqu’il était tout jeune. Ayant raté sa prépa, aujourd’hui à 28 ans, il est encore scolarisé. Depuis quelque temps rien ne va plus car même son amie et confidente Kira dont il est éperdument amoureux mais qui ne s’est guère intéressée à lui jusqu’ici est courtisée par son colocataire Mason. Tout comme son père, il ne ressent plus aucune envie de continuer à vivre. Sans hésiter, un soir il se jette du toit de son immeuble. Mais, dans sa chute, il réalise que sa vie n'était pas si mal finalement et comme par miracle il survit au saut dans le vide qui devait lui être fatal. Il ne le sait pas encore mais sa survie n'est pas tout à fait naturelle et évidemment, il y a un prix à payer. Ce prix, c'est un démon qui le lui annonce: il va devoir assassiner un salaud par mois, pas moins! Au début, Dylan se demande s'il n'a pas rêvé ou cauchemardé après une telle chute, mais quand ses forces commencent à diminuer et qu’il tombe malade, de plus en plus malade, il comprend assez vite que ce n'était pas une vision et que s'il n'accepte pas le deal, il risque bien de mourir. Toute la difficulté à présent ne se limite pas à trouver le courage de passer à l'acte mais aussi de trouver le premier salopard car qui mérite réellement de mourir ou pas?
Mon avis: Sans aucun doute, Ed Brubaker est devenu un maître du polar noir. On accroche dès les premières cases. On a même l'impression de s'imprégner de ses personnages tous plus déjantés les uns que les autres. Il réussit à nous faire vivre le grain de folie qui les anime jusqu'à nous glacer le sang, non seulement à nous faire vivre ce que le héros ou anti-héros est en train de vivre, d’autant plus que "Kill or be killed" est narré sous forme de livre intime, mais aussi à nous poser la question "Mais pourquoi fait-il ceci ou cela ?" comme si le personnage était réel. Pire et encore plus "flippant", on se demande parfois ce qu'on aurait fait à sa place. Dylan se présente à nous en combinant dans un mélange savant le minable devenu tueur dans "Wanted", le héros revenu de l'enfer, Spawn, et, bien sûr, le nettoyeur de la lie humaine qu'est le Punisher. C’est l’occasion pour le scénariste d’aborder la délicate question de savoir si l’homme a le pouvoir de se faire justice soi-même, quand bien même il s’agirait d’éliminer des criminels qualifiés de barbare. Cette légitimité de la violence en agissant à la fois comme juge et bourreau me dérange un peu, d’autant que les auteurs nous font penser qu'il n’y a aucune raison de s'en priver puisqu’après tout il ne s’agit que de salopards et de malfrats de la pire espèce. Mais Ed Brubaker connaît bien son domaine de prédilection et ça fonctionne à merveille. L'escalade dans la violence du jeune Dylan, personnage au départ plutôt non-violent et discret voire suicidaire, puis pris au piège du pacte conclu avec le démon va en surprendre plus d'un car ce secret va lui poser bien d'autres problèmes.
Le dessin de Sean Philips est d'une efficacité incroyable. Rien n'est laissé au hasard, tout est savamment encré et utilisé à bon escient, atteignant un bel équilibre des cases, des pages, du récit. On ressent la tension sur chaque case, la violence est rendue presque palpable. La présence du mal se concrétise sous nos yeux et finit petit à petit par arriver à ses fins. Au même titre que Brubaker, Sean Philips est passé maître dans le polar bien noir, voire infernal dans le cas présent. À ses côtés, on retrouve la coloriste Elizabeth Breitweizer dont le travail est tout à fait en symbiose. Ses couleurs rendent parfaitement l’atmosphère de terreur et de froid hivernal qui prévaut. Brubaker, Philips et Breitweiser forment un trio parfait et efficace qui décoiffe. Compte tenu de sa qualité graphique, cet album aurait certainement et largement mérité une version N&B, voire un tirage spécial Angoulême.
Ce thriller sombre est des plus captivant et le tandem Ed Brubaker Sean Philips fonctionne à merveille. Collaborant depuis un certain temps déjà, ils savent parfaitement où ils vont et cela se ressent dans la qualité du travail fourni. À ne rater sous aucun prétexte !
A noter: un superbe cahier d'illustrations des couvertures originales en fin d'album.
SDJuan