Créabulles, Expositions, Dédicaces, Rencontres.

Chroniques

Quelques-unes des BD qui nous ont le plus marqués.
N’y voyez aucun a priori, aucune prise de tête, aucune volonté de gonfler nos egos mais tout simplement l’envie de vous faire partager nos impressions de lecture. 

  • SHAOLIN 1

    Shaolin 1Tome 1/3 - L'enfant du destin
    Scénario : Jean-François DI GIORGIO
    Dessin : LOOKY
    Couleurs : Olivier MAY
    Dépot légal : Septembre 2020
    Editeur : Soleil
    ISBN : 978-2-302-08967-9
    Nombre de pages : 46

    À la recherche d’un travail, un guerrier à l’allure menaçante s’approche d’un groupe d’hommes pour leur demander s’ils ont besoin de main-d’œuvre. Pour toute réponse, il entend un laconique "On est déjà assez nombreux comme çà". Il réitère néanmoins sa demande et, à peine a-t-il reçu un nouveau refus, qu’il tue net les deux hommes à portée de sa main. Ailleurs, au Monastère des Trois Royaumes, le jeune Nuage Blanc, souffre-douleur de ses camarades disciples du maître Yuan Jia, s’interroge sur les visions qui le hantent même si son maître Huo l’a rassuré en lui disant qu’elles sont le signe d’un don et non d’une infériorité comme le prétendent ses camarades. Et ailleurs dans le royaume, trois guerriers ninjas prêts à donner leur vie se sont introduits dans le palais de Ly Jiong. Ils sont venus dérober la Chambre d’Ambre, un objet d’une très grande valeur mystique doté de pouvoirs dévastateurs qui vient d’être apporté au palais et remis au seigneur. Si deux guerriers ont été tués lors de l’assaut, le dernier a réussi à s’échapper avec l'artefact qu’il ne faut en aucun cas réveiller. Tandis que le frère du seigneur propose d’engager une chasseuse de primes pour retrouver l’artefact, la nouvelle du vol se répand jusqu’au monastère. Bien qu’il ne soit pas encore prêt, Nuage Blanc se voit confier par maître Yuan Jia la mission des plus périlleuses de retrouver la Chambre d’Ambre sinon le pays risque bien de subir la plus grande des malédictions.Shaolin 1 planche

    Mon avis : Jean-François Di Giorgio délaisse provisoirement l'univers des Samuraïs (trois séries en cours) pour nous plonger dans celui des moines Shaolin, mais dans une version "édulcorée" par rapport à la réalité que vivent ces moines au quotidien, bien plus dure et caractérisée par un entraînement quasi perpétuel. S’agissant avant tout d’une aventure, le récit se veut donc léger et plaisant avec une bonne dose de fantastique, de mystère et de magie noire. On entre directement dans l'intrigue qui développe plusieurs histoires en parallèle mêlant aventure, arts martiaux, pouvoirs surnaturels et humour, en faisant intervenir plusieurs personnages qui vont certainement apporter leur lot de surprises. Di Giorgio en dévoile assez pour nous captiver et nous accrocher même si on en sait encore peu sur les différents protagonistes, notamment le don de Nuage Blanc et la manière dont il va s’en servir mais aussi sa petite amourette, la chasseuse de prime engagée par le frère du seigneur du palais de Ly Jiong et sur le rôle que celui-ci va être amené à jouer, les ennemis qu’ils vont devoir affronter … Mais à ma grande surprise, le scénariste élimine d’emblée des personnages forts comme ces deux ninjas (sur trois, ouf) venus dérober l’artefact. En tout cas, l’aventure ne fait que commencer et annonce des développements tous azimuts. L'histoire est prévue en trois tomes.Shaolin 1 planche autre

    Au dessin, Looky fait fort : un découpage dynamique, des cases de différentes tailles, parfois emboîtées ensemble sans que l’on perde le fil de la narration, des vues et plans variés, rapproché, plongée, contre-plongée, un graphisme aéré et aérien transmettant une sensation de puissance, notamment sur les scènes de combat dans la lignée des légendes asiatiques avec des bonds prodigieux. Des décors, des paysages et des costumes soignés pour un résultat visuellement agréable souligné par la mise en couleurs lumineuse d’Olivier May.

    SDJuan

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  • ALIX SENATOR 11

    Alix senator 11Tome 11 : L'esclave de Khorsabad
    Scénario : Valérie MANGIN
    Dessin : Thierry DÉMAREZ
    Couleurs : Jean-Jacques CHAGNAUD
    Edition : Casterman 1
    ISBN : 978-2-203-20830-8
    Dépot légal : Novembre 2020
    Nombre de pages : 46

    Khorsabad. S'il y a bien un lieu en Assyrie qui est synonyme de tragédie pour Alix, un lieu où une partie de lui est restée à jamais, c'est bien Khorsabad. C’est là que son père a trouvé la mort il y a une quarantaine d'années et qu’Alix a été fait prisonnier. Aujourd'hui, en 11 avant notre ère, Alix est de retour pour retrouver les traces de son passé. Alors qu'il assiste à la représentation d’une œuvre dramatique dans le théâtre de la ville, des troubles surviennent car la haine envers les Romains est toujours bien présente. Les choses s’enveniment rapidement et tournent mal pour Alix qui est arrêté et conduit devant le seigneur parthe Barzapharnès. Celui-ci décide même de le retenir prisonnier. En fait, ses véritables motifs sont tout autres. Il est persuadé qu’Alix est revenu à Khorsabad car il est le seul à connaître l'emplacement exact où serait caché un trésor. Barzapharnès va tout faire pour le convaincre de l’aider à trouver cet or dont il a besoin pour provoquer Rome et déclencher une nouvelle guerre avec les Romains.Alix senator 11 plancheMon avis : Avec ce tome 11, Valérie Mangin récidive en faisant un retour dans le passé en lien direct avec les anciens albums. Si Alix Senator est indépendant de la série-mère, ces évocations sont un bon moyen de lui rendre hommage et Valérie Mangin la fait revivre avec talent. Alix poursuit donc son voyage vers son passé pour oublier Rome et tous ses mauvais souvenirs. Nous le retrouvons donc avec plaisir dans cet épisode qui le mène à Khorsabad en tant que Sénateur cette fois, ce qui ne va pas l'empêcher de tomber dans un piège et d’être une nouvelle fois fait prisonnier. Alix va aussi croiser cette femme qui ressemble à Enak avec lequel il a tant partagé au point qu’il va prendre des risques en voulant la défendre. Belle aventure sous forme de comeback où l’on retrouve tous les ingrédients faisant le succès de la série, à commencer par le contexte historique et politique toujours bien raconté. Un album qui donne envie de relire "C'était à Khorsabad" (scén. Jacques Martin, François Maingoval ; dessin de Christophe Simon et Cédric Hervan et couleurs de Dina Kathelyn) paru en 2006.Alix senator 11 planche autreThierry Démarez nous offre une fois de plus un superbe album en prenant soin de chaque détail, tant pour les costumes que pour les décors intérieurs et extérieurs, aussi bien dans les premiers plans que dans les seconds. Des scènes d’action bénéficiant d’un très bon découpage et une belle mise en page au profit de la narration. Si la qualité du dessin est bien présente, elle est encore accentuée par la mise en couleurs de Jean-Jacques Chagnaud, respectueuse des détails et mettant en valeur le travail du dessinateur par l’utilisation de teintes douces et agréables. Ce travail sur la colorisation est aussi un atout indéniable de la série.
    Comme de coutume, l’album existe aussi en Édition Luxe à dos toilé, avec un cahier historique supplémentaire de 8 pages.

    SDJuan

  • NATACHA Intégrale 6

    Natacha integrale 6Scénario : Michel DUSART, Marc WASTERLAIN, PEYO, Guy d'ARTET
    Dessin : François WALTHÉRY
    Couleurs : CERISE

    Dépot légal : Octobre 2020
    Editeur : 
    Dupuis 1
    ISBN : 979-10-34749-11-9
    Nombre de pages : 264

    Je me permets une longue introduction... 
    Jeudi 29 octobre 2020, lors d’une séance de signature de François Schuiten, Reynold le propriétaire de la librairie Brüsel explique que dans une case du tome 2 d’Atom Agency par Yann et Schwartz, on voit Gil Jourdan dans un quartier fréquenté par des dames de petite vertu. Jack Durieux présent aussi, enchaîne d’une voix souriante sur Queue de Cerise et François Schuiten termine en présentant cette dernière et Seccotine (Spirou et Fantasio) comme des personnages féminins en avance sur leur époque et en ajoutant que Natacha est plus un fantasme d’homme.
    Le dilemme est bien là : le lecteur achète-t-il les albums de Natacha pour les formes épanouies de son héroïne ou pour l’aventure ? Il faut avouer que François Walthéry n’hésite pas à la placer souvent dans des situations suggestives pour le plaisir de l’œil masculin. 
    Mais je vous laisse à vos réflexions.Natacha integrale 6 supplCette intégrale 6 enfin parue est encore une très belle réalisation des fantastiques éditeurs Christelle & Bertrand Pissavy-Yvernault que je ne remercierai jamais assez. Après un fameux dossier (leur marque de qualité), arrivent quatre aventures de notre charmante hôtesse de l’air vécues entre 1997 et 2007. Vingt ans! Oui, c’est long et l’explication est dans le dossier.
    1. "La veuve noire" commence par un vol mouvementé où d’horribles bestioles clandestines sèment la panique parmi les passagers et, après un passage dans les locaux des douanes de l’aéroport, se termine dans le bidonville de Patrézalez.
    (Le réalisateur du film « Des serpents dans l’avion, 2006 » avait-il lu cette BD ?)Natacha integrale 6 la veuve noire2. "Natacha et les dinosaures". Dans cette aventure imaginée avec Marc Wasterlain, notre héroïne et ses amis vivent des aventures dignes du Monde perdu de Conan Doyle. Cette histoire que j’avais lue dans le magazine Spirou ne m’avait pas laissé un souvenir enthousiaste et ici j’ai pris beaucoup de plaisir à la relire surtout pour toutes les interventions des enfants et l’énergie des dinosaures.Natacha integrale 6 et les dinosaures3. "La mer de rochers". Ma préférée peut-être, au dessin plus réaliste et entièrement dessinée par François aux traits si impétueux et passionnés. Et elle se passe en partie à Liège (ça aussi c’est chouette). Walter ramène un roman policier, durement convoité par Élio et Gros Louis (ça ne s’invente pas). Un vrai film d’action avec des truands, un code secret, des trafiquants, des poursuites en voitures, en train...et l’admirable plastique de Natacha et l’humour de Walter en prime.Natacha integrale 6 la mer de rochers4. "Atoll 66" commence par une soirée luxueuse où Natacha brille dans une robe magnifique. Elle l’enlèvera pour la remplacer par une très mini-jupe rouge avant de se faire kidnapper. S’échappant, elle devra se débarrasser de sa jupe pour surfer sur les vagues avant d’être capturée à nouveau. Pendant ce temps-là, Walter et Téha, une jolie fille des îles tout en recherchant Natacha vont démêler toute l’intrigue de ce récit et l’amener à sa conclusion explosive.Natacha integrale 6 atoll 66Vous l’aurez compris, cette intégrale aux récits très variés vous fera passer des moments bien agréables en charmante compagnie dans des décors très variés. Vous ne pourrez qu’admirer la virtuosité de François Walthéry dans les scènes d’action et la sensualité de son trait qui anime Natacha.

     

    M.Destrée

  • LA FORCE DE L'ORDRE

    Force de l ordre laScénario : Frédéric DEBOMY & Didier FASSIN
    Dessin : Jake RAYNAL
    Couleurs : Jake RAYNAL

    Dépot légal : Octobre 2020
    Editeur : 
    Delcourt
    Collection : Seuil - Delcourt
    ISBN : 978-2-413-01295-5
    Nombre de pages : 104

    Soirée du jour de l’An 2006, quelque part dans une banlieue dite sensible, trois adolescents qui attendent leur bus sont interpellés par la police pour un banal contrôle d'identité. Sauf qu’ils sont rapidement conduits au commissariat et placés en garde à vue pour être interrogés au sujet d'une affaire en cours. Finalement disculpés de tout soupçon, ils seront relâchés le lendemain sans aucune excuse. Cette situation est le quotidien de nombreux jeunes de quartier soumis à une violence et une tension silencieuses pas nécessairement accompagnées de violence physique (l’illustration de couverture montre une simple fouille au corps mais imposée et souvent mal perçue). Pour les besoins d’une enquête ethnographique portant sur la force publique, le médecin, anthropologue, sociologue et professeur Didier Fassin a pris contact avec la Brigade anti-criminalité, la BAC. Il a suivi et accompagné dans son quotidien une brigade de banlieue pendant près de deux ans entre 2005 et 2007 pour en dresser le portrait le plus objectif possible. En les accompagnant au plus proche, Didier Fassin est presque devenu invisible auprès de ces agents de terrain dans leur travail au quotidien, de jour comme de nuit. Un travail qui, pour cette "exception sécuritaire" que sont les fonctionnaires de la BAC, implique des provocations, des discriminations, du racisme sans oublier bien sûr la pression du chiffre imposée par la hiérarchie au détriment du bon sens en générant beaucoup de difficultés relationnelles avec la population dans les quartiers "sensibles". Force de l ordre la plancheMon avis: Cet album est l’adaptation du livre-enquête écrit par Didier Fassin paru en 2011 au Seuil sous le même titre. Un gros travail de terrain au sujet toujours d’actualité et basé sur des faits réels (l’auteur révélant dans son livre que l’un des jeunes interpellés est son propre fils). Didier Fassin s’est entouré de Frédéric Debomy au scénario et Jake Raynal au dessin pour réaliser une BD faisant vivre en images son étude sociale et atteindre ainsi un public plus large qui n’aurait pas forcément été attiré par un gros livre de 400 pages. Pour son étude, contrairement aux médias, Fassin a absolument voulu accompagner les hommes et femmes de la BAC au quotidien dans les quartiers modestes à la population souvent issue de l'immigration. Dans la version BD, l’image aide à faire comprendre les interactions entre la police et les jeunes des quartiers populaires, notamment l'agressivité, la violence pouvant résulter du poids des stigmatisations, des humiliations ou des insultes. La BD restitue bien la réalité du travail des policiers, le temps passé en planque, les contrôles d’identité, souvent au faciès, source potentielle de dérapages ou d’une violence plus quotidienne. Si ceci n’explique pas cela, le fait est que le bilan n’est pas très reluisant, surtout si l’on ajoute la pression du chiffre et les enjeux politiques locaux ou nationaux. On constate que souvent, tout s’achève au pénal et le volet social ne progresse pas ou trop peu pour améliorer les choses.Force de l ordre la planche autre La version BD a permis d’actualiser l’étude en ajoutant aux émeutes nationales de 2005 après la mort de deux adolescents électrocutés en cherchant à échapper à un contrôle de police à Clichy-sous-Bois, celles de 2007 dans le Val-d’Oise après la mort là encore de deux adolescents à Villiers-le-Bel. L’album aborde aussi l’affaire Adama Traoré, décédé après son arrestation à la gendarmerie de Persan dans le Val-d’Oise en 2016, ou la mort de l’américain George Floyd, décédé suite à son interpellation musclée à Minneapolis en mai 2020. Les dessins de Jake Raynal à dominante sombre et à l'encrage fort et appuyé, ne laissant guère de place aux détails sur les visages ni aux décors, rendent bien cette atmosphère pesante. Cette ambiance est encore accentuée par l’utilisation de couleurs dans les tons froids où l'on sent la violence prête à surgir à chaque instant ainsi que la monotonie et l'ennui que peuvent ressentir les policiers en planque. 

     

    SDJuan

  • LA MORT À LUNETTES

    Mort a lunettes la variante couvMort a lunettes laLA MORT À LUNETTESCoup de coeur
    Scénario : Philippe TOME
    Dessin : Gérard GOFFAUX
    Couleurs : REDJ

    Dépot légal : Septembre 2020
    Editeur : 
    Kennes coeur
    ISBN : 978-2-380-75148-2​
    Nombre de pages : 72

    2005, Afghanistan. Un groupe de soldats américains s’apprête à intervenir sur le terrain appuyé par des drones en soutien aérien. L’opération est banale et bien préparée. Et pourtant elle va déraper et finir en carnage. Quelques mois plus tôt à New York, Malcolm vient de sortir de prison où il s’est converti à l’Islam, se faisant désormais appeler Malek. Il a trouvé un job de technicien de surface dans une chapelle. C’est là qu’il rencontre Alex, de son vrai nom Alexander Birke, un vieux juif d’origine allemande qui a connu la Shoah, passionné de gospel et de jeux d’échecs, qui tient absolument à lui apprendre les règles du jeu. Malek, noir ayant fait de la prison et musulman, est une recrue inespérée pour l’armée qui cherche depuis longtemps comment incarner de manière forte sa nouvelle campagne de publicité en ces périodes tourmentées. Il est approché par la sergente Amy O’Neal qui insiste pour qu’il s’engage, mais rien n’y fait. C’est lorsque son amie du moment le quitte que Malek apprend, par une ancienne relation, qu’il est le père d’une fille aujourd’hui âgée de 16 ans et qu’elle vient de disparaître. Comme l’armée semble impliquée au plus haut niveau dans sa disparition, Malek reprend aussitôt contact avec la sergente recruteuse Amy O’Neal. Lui compte bien comprendre ce qui s’est passé et l’armée en profiter pour mettre sur pied sa campagne de propagande.Mort a lunettes la plancheMon avis: Quel dommage que Philippe Tome ne soit plus parmi nous pour voir ses deux derniers albums arriver sur les étals des libraires. Il en aurait été très fier et avec raison. "Rages" avec Dan Verlinden au dessin (lire notre chronique ici), tout comme "La mort à lunettes" avec Gérard Goffaux, sont deux très bons albums que je ne peux que vivement recommander. 
    Tome était peut-être davantage connu comme scénariste d’humour, notamment avec ses séries "Le Petit Spirou", "Soda" ou "Le Gang Mazda"…, mais on ne peut oublier ses excellents récits polar-thriller comme "Berceuse assassine" (Ralph Meyer au dessin) ou "Sur la route de Selma" ( Philippe Berthet au dessin) dont "La mort à lunettes" aurait dû être en quelque sorte la suite bien que constituant une histoire à part, hormis ce lien (expliqué par Goffaux dans le dossier en fin d’album) lorsque Malcolm Brown, notre Malek, se recueille sur la tombe de son frère Clément et de sa mère dans un cimetière située non loin de Selma. Tome nous offre avec cet album une très belle histoire sous forme de jeu d’échec ou chaque pion (personnage, ville ou drame) revêt toute son importance. Un polar bien noir (sans aucun jeu de mot) avec ses drames familiaux, ses drames nationaux mais aussi une très belle histoire d’amitié. Comme pour Rages, l’album aura nécessité presque une dizaine d’années pour voir le jour. Mais l’attente en valait largement la peine. Forts d’une amitié de 40 ans, Tome et Goffaux ont pris le temps de nous peaufiner une histoire hors pair.Mort a lunettes la planche 2Au dessin, Gérard Goffaux a fait des merveilles, nous proposant de très belles pages, de très bons cadrages et de superbes cases à l’encrage puissant avec des personnages forts et crédibles, la splendide Horch P240 et de très beaux décors. Un très bon découpage aussi, où les images se succèdent parfois sans texte, car tout est dit dans les détails ou dans ce qu’elles suggèrent mais aussi entre les cases. On comprend, on visualise, on imagine, on complète sans même s’en rendre compte comme ces soldats et l’atmosphère du champ de bataille, comme Malek et son existence de noir musulman et sa vie sentimentale désastreuse ou comme Alex en manque de compagnie et d’amitié, etc. Autant d’histoires qui fonctionnent parfaitement et qui vont s’entrecroiser pour notre plus grand plaisir. Une belle mise en couleurs sépia de Redj avec quelques notes de rouge par-ci par-là mettant l'accent sur des points importants de l'histoire pour un résultat bluffant. Personnellement, j'aurais cependant aimé disposer d'une version en noir et blanc vu la qualité du dessin et de l'encrage de Goffaux. Le dossier de huit pages richement documentées en fin d’album apporte un éclairage complémentaire fort précieux.

    Mort a lunettes la processus 1 Mort a lunettes la processus 2

    Mort a lunettes la processus crayonne Mort a lunettes la processus encré Mort a lunettes la processus couleur

    Un album réellement "coup de cœur" qui complète avec brio la déjà belle collection de l’éditeur belge Kennes.
     

    SDJuan

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  • BRUXELLES 43

    Bruxelles 43Scénario : Patrick WEBER
    Dessin : Baudouin DEVILLE
    Couleurs : Bérengère MARCQUEBREUCQ
    Dépot légal : Octobre 2020
    Editeur : Anspach

    ISBN : 978-2-9602104-9-1​
    Nombre de pages : 64

    1960, Kathleen est venue donner un coup de main à sa mère, ancienne employée du grand magasin Innovation, car elle s’apprête à déménager et doit emballer toutes ses affaires dans des cartons. Elle en profite pour mettre un peu d’ordre au grenier puisqu’elle-même y a laissé divers objets. Rapidement, elle tombe sur une enveloppe sur laquelle est écrit "Pour mon ami Fernand", le prénom de son père. À l’intérieur, elle découvre plusieurs planches de bande dessinée intitulées "Hitler et Herman, son berger allemand". Aussitôt, les souvenirs de l’époque la submergent d’émotion. Elle n’avait pourtant que 12 ans en 1943 mais l'occupation allemande l'a terriblement marquée. Elle se souvient de sa meilleure amie Yvonne, avec qui elle s’amusait alors que des drames se jouaient autour d’elles et de leurs familles, les rafles de Juifs, la surveillance et la menace permanente de dénonciation de la part des collabos, les restrictions alimentaires, les bombardements… Elle se souvient aussi de son père Fernand, amateur de BD, qui tenait un kiosque à journaux Place de Brouckère. Elle se rappelle aussi qu’il prenait de grands risques en entretenant des liens avec la résistance. Et justement, les planches réalisées par son ami dessinateur caricaturant Hitler et l’occupant allemand auraient dû être publiées clandestinement …Bruxelles 43 plancheMon avis: Bruxelles 43, après Sourire 58 et Léopoldville 60, est l’occasion pour le scénariste Patrick Weber de revenir  sur une période importante de l’histoire belge – l’occupation allemande – alors que notre héroïne, Kathleen, n’est encore qu’une fillette de 12 ans. Si le contexte historique de cette période est connu par la plupart d’entre nous grâce aux livres et cours d’histoire, le récit, comme de coutume, est très documenté (il est d’ailleurs complété par un dossier minutieux et détaillé en fin d’album). Patrick Weber nous raconte cette aventure en tant qu’historien en nous apportant son lot de révélations sur des faits ou des événements souvent peu connus du grand public. Il évoque bien sûr les rafles de Juifs, le marché noir, la menace des collabos, une presse sous contrôle de l’occupant allemand, la résistance, mais son intrigue multiplie les rebondissements en lien avec d’autres faits comme ces actes de résistance de la part d’hommes et femmes ayant pris le risque de réaliser, imprimer, distribuer un "faux Soir" en novembre 1943 justement, ou ces écrivains, auteurs, dessinateurs "engagés" avec lesquels le père de Kathleen correspondait. Un récit maîtrisé, une narration fluide, une lecture captivante.Bruxelles 43 planche autreCôté dessin, Baudouin Deville a de nouveau beaucoup travaillé sur base d’une documentation riche et variée pour les rues, les vêtements, les voitures... mais aussi les publicités de l’époque ou les journaux. Ses pages sont très fournies en décors et détails pour mieux nous immerger dans l’époque. Sur certaines pages, il multiplie les cases au service d’un déroulement fluide du récit. On prend plaisir à y retrouver Jacobs et Hergé dans leurs propres rôles. On y découvre aussi Philippe Wurm que Baudouin Deville salue et remercie d’avoir inclus son personnage de Kathleen dans l’un de ses albums. Un trait précis, vivant, tout à fait dans le style "ligne claire", collant parfaitement au texte.

    Et, toujours, une très belle mise en couleurs de Bérengère Marquebreucq donnant vie, volume et clarté au dessin de Deville

    Un troisième album venant confirmer la qualité de cette "pseudo-série", qui devrait ravir les passionnés d’histoire, à mettre aussi entre les mains de tous ceux curieux d’en savoir davantage sur la résistance par le biais de la presse et de la ... BD ! 

    SDJuan

  • LES TUNIQUES BLEUES 65

    Les Tuniques Bleues n°65 : L envoye specialCoup de coeurScénario : BeKa
    Dessin : José Luis MUNUERA
    Couleurs : SEDYAS

    Dépot légal : Octobre 2020
    Editeur : 
    Dupuis 1
    ISBN : 979-10-34747-93-1
    Nombre de pages : 46

    Londres, 1861. William Howard Russel s’apprête à partir pour l’Amérique comme correspondant du Times pour couvrir la guerre de Sécession. En charge des grands événements, ce journaliste est tombé en disgrâce auprès de ses supérieurs suite à son article sur la grève des ouvriers du bâtiment dans lequel il compare la situation qui a dégénéré à l’usine Burdett à une "véritable bataille" mais aussi à cause de son soutien aux grévistes dont les droits auraient, d’après lui, été bafoués. Du coup, William Russell est envoyé très loin, en Amérique, auprès du général Alexandre de l’armée unioniste pour écrire une série d’articles destinés à faire vivre aux lecteurs l’expérience de cette guerre au plus près des soldats. Premier "correspondant de guerre", le journaliste sera escorté par le sergent Chesterfield et le caporal Blutch qui assureront sa sécurité durant son reportage.Tuniques bleues 65 planche
    Mon avis: Avec ce 65e album [paru avant le 64e (Où est donc Arabesque ?) en préparation par Lambil et Cauvin (qui signera son dernier scénario pour la série des TB)], je retrouve avec plaisir l’énergie de la première vingtaine d’albums mettant en scène un Blutch voulant à tout prix déserter ou faire le mort pour éviter les charges intempestives du capitaine Stark, ou dénicher une cachette originale et supposée introuvable pour qu’ensuite Chesterfield puisse nous surprendre en la découvrant avec une grande facilité. Et quel plaisir aussi d’être témoin de la guéguerre permanente entre nos deux héros aux opinions si diamétralement opposées sur l’armée. Quant à William Russel (qui a réellement existé), les auteurs en ont fait le stéréotype du britannique plutôt distant et réservé, impassible, raide et stoïque dans toutes les situations (comme ici sur sa bourrique !) et finalement un personnage dont l’attitude fait souvent (sou)rire. Les Beka et Munuera nous proposent un récit rompant volontairement avec le travail de Cauvin et Lambil sans chercher à vouloir le copier ou l’imiter. Plusieurs histoires s'entrecroisent (l’arrivée du reporter, la découverte de l’orphelinat, la ségrégation omniprésente) témoignant chacune d’une époque de grands tourments. L'intégrité du travail de journaliste cherchant à être le plus objectif possible, chose difficile dans la réalité, est très bien rendue.Tuniques bleues 65 planche russelCôté dessin, le renouveau évoqué dans notre précédent article (à lire ici) est bien là. José Luis Munuera dont on reconnaît le graphisme si typique s'est parfaitement approprié les personnages en respectant leur personnalité. De même pour les décors ainsi que pour Arabesque, parfaitement dressée (occasion rêvée pour Blutch de faire une très belle démonstration devant l’un des gamins de cet orphelinat qui le ramène dans son passé). Et n’oublions pas l’image improbable et drôle de ce journaliste si flegmatique sur sa mule mais qui utilise les technologies les plus avancées de l’époque comme le télégraphe pour envoyer ses textes. À retenir un encrage plus prononcé sur certains plans, un découpage et des cadrages plus dynamiques, voire audacieux sur quelques planches, un environnement graphique varié mais toujours respectueux des codes de Lambil et une très belle mise en couleurs de Sedyas elle aussi respectueuse du style de la série.
    Tuniques Bleues n°65Parenthèse dans la série des Tuniques Bleues, cet album du trio BeKa-Munuera est réussi. Certainement est-il plus sérieux, plus adulte, plus réaliste en nous montrant les violences de la guerre par exemple, mais dans le même temps l’humour si caractéristique des TB y est bien présent. À noter par exemple ce clin d’œil aux auteurs historiques qui sont mis en scène dans l’album sous les traits de Raoul et Willy jeunes. Les BeKa et Munuera ont vraiment apporté une touche de renouveau qui combine, pour notre plaisir, tradition et modernité. Au final, ce petit coup de neuf m’incite à attendre avec impatience la parution prévue en 2021 du prochain album (n°64) du tandem historique Cauvin-Lambil.

    A noter : une interview de BeKa et Munuera en début d'album et deux pages preview du nouvel album de Cauvin et Lambil en fin d'album.

    SDJuan

  • NESTOR BURMA 13

    Nestor burma 13Tome 13 : Les rats de Montsouris
    Scénario : Emmanuel MOYNOT
    Dessin : François RAVARD 
    Couleurs : Philippe DE LA FUENTE
    Edition : 
    Casterman 1
    ISBN : 978-2-203-19083-2
    Dépot légal : Avril 2020
    Nombre de pages : 62

    Paris, durant l’été 1955. Deux nouveaux clients sollicitent les services de Nestor Burma pour élucider des affaires qui n’ont, a priori, rien en commun. Le premier, Ferrand, est un ancien camarade de captivité durant la guerre, aujourd’hui devenu truand. Pour lui parler avec discrétion, il a demandé à Nestor Burma de le rejoindre dans un bar où l’on joue au billard. Il lui explique qu’il a besoin de son aide à propos d’une histoire de cambriolages en série. L'autre client, un riche bourgeois, ancien magistrat à la retraite, lui demande d’intervenir pour mettre fin au chantage dont il est victime. Burma va rapidement constater que les deux affaires outre le fait que les clients habitent tous deux dans le 14e arrondissement ont un autre point commun : un mystérieux gang de cambrioleurs qui écume les caves parisiennes appelé "Les Rats de Montsouris". De fil en aiguille, cette double enquête va vite devenir un sac de nœuds réservant bien des surprises et des secrets. 

    Résumé: SDJuanNestor burma 13 planche

    Avant, Tardi dessinait les enquêtes de Nestor Burma en adaptant les romans de Léo Mallet.
    Ce sont mes albums préférés de ce dessinateur.
    Après quatre albums, Emmanuel Moynot a pris le relais. Comme la touche Tardi était présente, j’ai essayé mais le dessin ne me plaisait vraiment pas.
    Cette fois Moynot est au scénario et au dessin, c'est François Ravard. En feuilletant l’album, je constate qu’il s’approche du maître surtout dans les personnages.
    À la lecture, c’est autre chose. Après un début confus car le scénario n’est pas maîtrisé, je commence à comprendre ce que veulent les personnages mais cette confusion reviendra. Certains intervenants ne sont pas assez développés et il devient difficile de comprendre pourquoi ils sont là et ce qu’ils ont fait. Des cases supplémentaires auraient été les bienvenues.
    Nestor planche n b
    Le dessin des personnages me plaît et le rendu des habits est proche de Tardi. L’intérieur des immeubles montre bien l’état des lieux. Mais les rues parisiennes ne sont qu’ébauchées. Avec Tardi, je n‘avais qu’une envie, les parcourir. Je l’ai d’ailleurs fait sur le pont de Tolbiac. Je dois quand même signaler le beau final de plusieurs pages dans le réservoir. Les larges aplats de noir et l’éclairage jaunâtre du plus bel effet sur les visages et les vêtements apportent un bel effet de profondeur dans la perspective.
     
    Avis M. Destrée