Chroniques
Quelques-unes des BD qui nous ont le plus marqués.
N’y voyez aucun a priori, aucune prise de tête, aucune volonté de gonfler nos egos mais tout simplement l’envie de vous faire partager nos impressions de lecture.
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LA DÉSOBÉISSANCE D'ANDREAS KUPPLER
- Par asbl-creabulles
- Le 23/11/2020
Scénario : Eric CORBEYRAN
Dessin : Manuel GARCIA
Couleurs : DEGREFF
D'après l'ouvre de Michel GOUJON
Dépot légal : Octobre 2020
Editeur :
Collection : Mirage
ISBN : 978-2-413-02631-0
Nombre de pages : 1061936, les IVe Jeux Olympiques d'hiver se déroulent en Allemagne, plus précisément en Bavière dans la nouvelle station de ski de Garmisch-Partenkirchen. Pour l’Allemagne nazie, l’événement a surtout été un outil de propagande à la gloire d'Hitler et du Parti national-socialiste qui affirme de plus en plus son emprise sur le pays. Venu de Berlin couvrir les jeux, le journaliste Andreas Kuppler vient d’assister à la cérémonie de clôture qui s’est parfaitement déroulée. Plus tard dans la soirée, Andreas, dont le couple vacille, décide de s’accorder un moment de répit. Il se joint à la soirée organisée par les Américains au piano bar du grand hôtel. Il fait la connaissance de Suzanna Rosenberg, une belle femme juive new-yorkaise, avec laquelle il danse sur des rythmes de jazz et de rumba. Ce comportement "déplacé" va rapidement lui attirer des ennuis à commencer par les reproches de la direction de son journal qui lui avait déjà imposé de prendre la carte du parti nazi, ceux de son épouse Magdalena avec qui décidément rien ne va plus tant sur le plan relationnel que sur celui des opinions politiques, de ses beaux-parents, des conservateurs fervents admirateurs des nazis qu’Andreas juge trop sympathisants à son goût et qui ne lui sont d’aucune aide… mais lorsque la Gestapo commence à enquêter, le piège se referme sur Andreas, considéré comme étant passé dans le camp des ennemis du Reich … Mon avis : Adapté du roman de Michel Goujon (initialement publié en 2013), le scénario d’Éric Corbeyran nous relate de manière plus succincte, format BD oblige, le destin d’un journaliste allemand dans une Allemagne qui se transforme en dictature. Tandis que sa vie personnelle et familiale se dégrade, il assiste à la lente transformation de la société allemande. Il s’interroge – sans doute trop – ce qui lui vaudra par la suite d’être considéré comme un opposant. Il est envahi par le doute et la peur mais comme tous ceux, nombreux, qui ont dû subir l’idéologie nazie sans y adhérer, que peut-il faire face à un tel raz-de-marée. La pression nazie se fait chaque jour plus forte. C’est une escalade dans l’oppression, de plus en plus destructrice pour qui se refuse à suivre le mouvement, le parti, ce que l’album rend très bien. La tension est presque palpable, anxiogène et étouffante. Sur fond historique, ce récit tout à fait prenant qui se lit d'une traite développe de manière intense, sombre comme un polar, plusieurs thématiques, la guerre bien sûr, la dictature avec ses faits tragiques et ses conséquences mais aussi leurs répercussions psychologiques sur les populations.En charge des illustrations, Manuel Garcia fait preuve d’un savoir-faire d'une redoutable efficacité. Son dessin restitue comme il faut cette atmosphère noire et pesante. On connaît surtout Manuel Garcia par son travail sur les comics US où il est très à l’aise mais aussi la BD franco-belge dans les genres tour à tour historique (Le Troisième fils de Rome, Une génération française, Face à Face), polar (Les Voleurs de beauté) ou fantastique (La Terre des Vampires). À travers son dessin, on accompagne le journaliste, on est dans ses pensées, sa solitude, ses envies et ses peurs. De très belles cases à l'encrage marqué, ténébreux, des regards impressionnants comme celui de l'agent de la Gestapo, mais aussi de très beaux décors y compris sous la neige. Le choix des couleurs de Degreff accentue encore un peu plus ce côté sombre en mêlant l'orangé et le bleu sur certaines scènes, comme sur la couverture.
Un très bon album, constituant une belle entrée en matière pour découvrir de manière plus approfondie un sujet grave toujours d’actualité.
SDJuan
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JOUR J 42
- Par asbl-creabulles
- Le 20/11/2020
Tome 42 : Le Grand Secret 1/3
Scénario : Fred BLANCHARD, Fred DUVAL & Jean-Pierre PECAUD
Dessin : BRADA
Couleurs : Jean-Paul FERNANDEZ
Couverture : Nicolas SINER & Fred BLANCHARD
Dépot légal : Octobre 2020
Editeur :
Collection : Neopolis
ISBN : 978-2-413-02393-7
Nombre de pages : 56Succédant à Churchill, le nouveau Premier ministre anglais a demandé un armistice à Hitler, reconnaissant de facto la défaite de l’Angleterre et la supériorité allemande. À sa demande, une conférence doit avoir lieu aux États-Unis pour négocier un accord de paix en Europe. À New York justement, Mary et ses collègues travaillent au Bureau 103, installé dans un immeuble du quartier de Bowery. Ce service a été créé par le président américain pour enquêter sur la situation dans les pays européens occupés par l’Allemagne nazie et en particulier sur le cas des Juifs. Réfugié à Moscou, un général français nommé Charles de Gaulle vient de leur faire transmettre un document contenant des photographies aériennes prises en Pologne près du village de Chelmno. On peut y voir des bâtiments en cours de construction dans une sorte de casernement. Il pourrait bien s’agir d’un camp de prisonniers pour les Juifs. Mais faute d’éléments probants, Mary doit encore rencontrer ses contacts français afin d’en savoir plus. En partant le soir, elle sent qu’elle est suivie mais sans plus s’inquiéter. En fait, l’homme qu’elle a pris pour un agent du FBI l’attendait depuis pas mal de temps pour lui remettre une clé de consigne. À peine l’a-t-il remise que des hommes armés du SD, le service de renseignement de la SS dirigé par Reinhard Heydrich, se dirigent vers eux. Mary et l’homme mystérieux prennent la fuite mais ce dernier est rapidement abattu. Quant à Mary, elle réussit à rejoindre l’immeuble de Bowery et ses collègues du Bureau 103 pour établir un plan d’action… mais les choses vont très vite se gâter.Mon avis : Respectant la marque de fabrique de la série Jour J, le trio de scénaristes, Blanchard, Duval et Pécau, nous entraîne dans une nouvelle uchronie, cette fois prévue en trois tomes. La tension est présente dès les premières pages de cette histoire rigoureusement écrite à partir de faits historiques habilement détournés. On est happé par la vision d’une Europe fragilisée par une Angleterre qui jette l’éponge, laissant l’Allemagne nazie organiser une Conférence de paix qui va assoir encore un peu plus son pouvoir. Un récit captivant, des scènes rythmées par des rebondissements inattendus, un suspense maintenu jusqu’à la fin de l’épisode et annonçant clairement une suite prometteuse. France et USA se sont alliés pour élucider le mystère planant sur le sort des Juifs. Et la guerre semble loin d’être achevée, surtout si l’Amérique entre dans le conflit. Jour J m’a toujours fait penser à une collection Marvel régulièrement publiée de 1977 à 1984 puis épisodiquement jusqu’en 2015. J’ai toujours apprécié cette vision des auteurs de comics qui laissaient libre cours à leur imagination sous le titre "What if…?" (Et si ? en français). Ici aussi on évolue dans des mondes alternatifs nous décrivant dans le détail ce qui se serait passé si des personnages cruciaux de notre histoire avaient choisi une autre voie, si des événements avaient évolué d’une manière différente, en découvrant ce que ce passé alternatif aurait modifié dans notre présent.Le dessinateur serbe Miroljub Milutinovic Brada qui a dû faire pas mal de recherches pour se documenter, illustre cet épisode de manière agréable en nous proposant de nombreux décors d’époque réalisés avec soin, New York et ses quartiers, ses immeubles et ses ponts si typiques, mais aussi Stockholm ou Barcelone et sa célèbre Sagrada Familia. Les personnages particulièrement nombreux sont facilement identifiables, un plus pour la compréhension du récit. Ajoutons une mise en page classique et efficace et des couleurs de Jean-Pierre Fernandez restituant bien les différentes ambiances du récit. Sans oublier l'impressionnante couverture de Nicolas Siner et Fred Blanchard.
SDJuan
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LAMBIL - Une vie avec les TUNIQUES BLEUES
- Par asbl-creabulles
- Le 18/11/2020
Entretiens avec Christelle et Bertrand PISSAVY-YVERNAULT
Dessin : Willy LAMBIL
Couleurs : Willy LAMBIL
Dépot légal : avril 2020
Editeur :
Collection : Dupuis Patrimoine
ISBN : 979-10-34747-58-0
Nombre de pages : 208On pourrait aisément intituler cette chronique "Blue Retro" ou "Les Vertes Années", faisant ainsi référence à deux albums de cette mythique série.
Lorsqu'on tient dans les mains cette impressionnante "brique" de 207 pages fort joliment illustrées, on se demande bien comment on va pouvoir la digérer.
Et puis, lorsqu'on se lance dans sa lecture, son contenu est tellement passionnant que les heures défilent sans que l'on s'en rende vraiment compte."Lambil, Une vie avec les Tuniques Bleues" est en quelque sorte une gigantesque Madeleine de Proust.
Elle nous plonge, grâce à un auteur qui est à lui tout seul un sacré bonhomme, paradoxal comme on en rencontre probablement peu et rarement dans le monde des bulles, elle nous plonge, disais-je, dans l'histoire tant merveilleuse que tumultueuse de la Maison Dupuis, et oui, celle de Spirou, fleuron de notre bande dessinée belgo-belge.
Au fil d'entretiens répartis de mai 2016 à septembre 2019, Willy Lambillotte nous relate, avec force émotion et sincérité, la vie d'un Passionné (avec un grand "P"), et le mot est faible, dont la vocation (et le terme ici n'est pas trop fort) d'être un jour dessinateur de bande dessinée, est née alors qu'il n'avait que 5 ans !Quand il franchit les portes de l'institution marcinelloise pour la première fois, il en a 16 !!Alors autant vous dire que Lambil, aujourd'hui âgé de 84 ans, en a croisé du monde... après avoir parcouru ses vertes années, celles où il était enfant et qu'il nous dresse un émouvant portrait de son environnement familial, il s'épanche sur ces auteurs, dessinateurs, scénaristes, responsables divers de cette historique imprimerie devenue maison d'édition, qui l'ont accueilli, qu'il a croisés et côtoyés parfois pour le pire mais quand même souvent pour le meilleur.En effet, cela ne s'est pas toujours passé dans la sérénité ni la joyeuse frénésie que l'on pourrait imaginer.
Comme il le souligne lui-même, parti de rien, engagé comme simple lettreur à 16 ans, devenu le fantastique auteur que l'on sait, il concède encore aujourd'hui, parfois de la tristesse, de l'amertume liées à des épisodes de sa (très) longue carrière même si, à d'autres moments, de belles rencontres ou la naissance d'une phénoménale amitié (entachée cependant de vilaines chamailleries !) avec Raoul Cauvin, son scénariste fétiche, ont cependant enrichi une bien formidable carrière professionnelle.Au fils des questions-réponses, Lambil, spontané, vif et sans langue de bois, dénote d'une mémoire des lieux, des personnes, des événements, d'une exceptionnelle qualité.Il décrira ainsi trois générations d'auteurs, de créateurs pour lesquels il va se montrer tantôt admiratif, tantôt respectueux et parfois aussi... sans concession, exemple s'il en est des relations d'employeur à employé qu'il a vécues avec la famille Dupuis, pas toujours exceptionnellement chaleureuses.
"Monsieur Charles", notamment, comme on l'appelait était avant tout un homme d'affaires, cela se ressent dans les commentaires distillés de-ci, de-là.Lambil nous décrit donc un monde pas toujours habité de "bisounours", il le fait avec beaucoup de sincérité mais sans trop d'animosité.
C'est un modeste et pourtant qu'est-ce qu'il aurait quand même aimé qu'on lui dise que ce qu'il créait était de qualité, c'est un énorme bûcheur, il a tout concédé à sa vocation, au point parfois de mettre en danger sa santé, tant physique que mentale !Pour avoir tant apprécié son travail, sur ses séries anciennes, "Sandy et Hoppy", "Koala", "Pauvre Lampil" notamment, et puis applaudi à la reprise des "Tuniques" de Louis Salvérius et bien sûr pour avoir assisté à la consécration de cette saga (pour laquelle Raoul Cauvin vient de signer son 64e et tout dernier scénario), je peux affirmer ici que Lambil est un tout grand dessinateur, un fabuleux metteur en scène doublé d'un décorateur de génie... et je pèse mes mots.
Fou amoureux de son métier, lorsqu'il décrit ses techniques, son travail sur les noirs et blancs qu'il affectionne, ses recherches de documentation (La Guerre de Sécession n'a plus guère de mystères pour Raoul et Willy), perfectionniste à l'extrême, Lambil se révèle être une sorte de funambule toujours sur la corde sensible d'une reconnaissance qu'il n'a pas toujours obtenue à sa juste valeur, toujours inquiet d'un talent qu'il possède mille fois plutôt qu'une, dont, paradoxalement, j'y reviens, il doute encore parfois.
Il peut se montrer dur avec lui-même, il l'est parfois aussi avec un public qui lui est pourtant fidèle mais à chaque fois il ne peut s'empêcher de se poser des questions, doutant par exemple et pestant contre l'image de dilettante que ce même public peut avoir d'un métier particulièrement ingrat (ne jamais oublier que vouloir devenir dessinateur de BD a longtemps été moqué, dénigré et méprisé).Lambil est un auteur multi-facettes, dessinateur et aquarelliste réputé, on l'oublie parfois, ces rencontres permettent d'entrevoir un personnage singulier, attachant, pas toujours lisse, parfois déconcertant mais qui ne laisse pas indifférent.Bref, un parcours personnel, professionnel très riche, sans aucune uniformité et ce n'est pas un jeu de mot rapport à la série que nous aimons depuis si longtemps et que nous souhaitons encore pouvoir apprécier... mais c'est une autre histoire...
Je vous invite dès lors chaleureusement à découvrir ce beau "roman" d'une vie drôlement bien remplie.
Pour Créabulles asbl,
Bernard Defrère
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LA FIÈVRE D'URBICANDE Tirage de tête
- Par asbl-creabulles
- Le 17/11/2020
Scénario : Benoît PEETERS
Dessin : François SCHUITEN
Couleurs : Jack DURIEUX
Edition :
ISBN : 978-2-203-21838-3
Dépot légal : Octobre 2020
Nombre de pages : 110
À noter : ce Tirage de tête est limité à 700 exemplaires et 50 exemplaires HC numérotés et signés. Contient un ex-libris sérigraphié présentant l'illustration de couverture de l'édition courante.Si vous aimez le dessin de François SCHUITEN et l’univers des Cités Obscures, vous devez aimer La Fièvre d’Urbicande.
Personnellement, c’est mon album préféré avec La Tour et L’Enfant Penchée.
"Mais pourquoi le mettre en couleur ?" ai-je pensé en apprenant la nouvelle de la réédition de cet album.
Celle de 1990 est tellement belle en noir et blanc.
Le papier légèrement satiné rend les noirs tellement profonds. Les dégradés et les contrastes sont si bien marqués.
Mais je suis trop curieux de voir l’effet de la couleur dans cet album (mythique) pour moi. Surtout dans ce grand format.
J’apprendrai dans une interview que ce récit était destiné à la couleur mais après Samaris, Schuiten n’avait guère envie de se remettre si tôt à cet exercice si fastidieux.
Le graphiste et illustrateur Jack Durieux a mis deux ans pour colorier cette nouvelle édition.J’ai dans les mains un nouvel album.
Le récit n’a pas changé évidemment mais le cadre et les ambiances sont différentes.
Les tons chauds (les roses et les mauves) et cette luminosité créent des planches de toute beauté.
La lumière ou l’absence de lumière naturelle ou artificielle est bien présente au travers de toute la chromatique proposée.
Le réseau est aussi impressionnant dans tous ces tons bleus ou gris.
J’ai évidemment feuilleté les deux versions en comparant le rendu des contrastes et des couleurs. C’est inutile !
Chaque album a sa vie propre.Le travail du noir et blanc de Schuiten et la mise en couleur de Durieux sont tous les deux impressionnants d’efficacité et de beauté.
Le noir et blanc rend les matières plus rugueuses et la ville plus dure.
La couleur adoucit les angles et rend la lumière plus chaude.L’histoire : Eugen Robick, urbatecte de génie, a conçu les bâtiments prestigieux de la ville d’Urbicande mais il est contrarié.En effet, les sommités de la ville ne semblent pas vouloir continuer les travaux du troisième pont qui est indispensable à l’équilibre de l’ensemble.
Sur son bureau est posé un cube creux dont la structure va grandir en donnant naissance à un réseau immense qui va perturber Robick, les habitants de la ville et toute la conception des bâtiments.
Mais aussi rendre possible des liens et des contacts entre les habitants des quartiers neufs dominés par le gigantisme et l’ordre et ceux des quartiers anciens où l’architecture est plus pauvre mais peut-être plus conviviale.
Lors de la séance de signature à la librairie Brüsel le jeudi 29 octobre, François SCHUITEN expliquait la raison de l’engouement des lecteurs des Cités Obscures pour La Fièvre...en parlant de la porosité de l’œuvre. Comme une éponge, elle se laisse séduire et séduit les impressions des différents amateurs.
Chacun interprète ce réseau à sa façon.
Personnellement, c’est son côté mystérieux et fantastique qui m’attire.
Quelle est l’origine, le pourquoi de ce cube, comment devient-il un réseau ?
Comment vit-il ?
En grand format, il devient encore plus impressionnant.
De ses structures se dégage une force divine et mystérieuse. Une entité ?
On pense au monolithe de "2001, l’Odyssée de l’espace" pour le côté énigmatique de sa présence.
Le réseau en lui-même me passionne plus que le récit.
Je me suis toujours demandé pourquoi un sculpteur n’avait pas proposé aux auteurs de lui donner vie en réalisant des sculptures du cube en différents formats et matières et à différents moments de son expansion.Je terminerai par quelques réflexions personnelles suite à l’interview parue dans Le Soir du vendredi 6 novembre 2020.
Daniel Couvreur commence en comparant l’effroi causé par la fièvre d’Urbicande à la situation que nous vivons suite à la pandémie et François et Jack vont dans son sens en parlant de propagation de l’épidémie d’Urbicande.
C’est un peu facile aujourd’hui de faire cette comparaison. Benoît Peeters et François Schuiten ont-ils réellement pensé à une maladie lors de la conception de cet album ?
Déjà la matière inconnue dont il est fait, sa croissance, les résultats sur la ville et la population, tout est différent. Non je n’adhère pas.
Dans une réponse François Schuiten dit que ce n’est pas une simple colorisation des planches comme à l’époque d’Hergé.
Évidemment qu’il n’y a aucune comparaison avec la mise en couleur de La Fièvre d’Urbicande.
Mais il aurait fallu préciser que Hergé a réaménagé complètement les strips et les planches des albums en plus de la mise en couleur.Je ne dirai pas la même chose pour la colorisation de la version noir et blanc de Tintin en Amérique à but purement mercantile.
Celle de Tintin au pays des Soviets pouvait avoir une raison d’être comme il n’existait pas en couleur mais ici...
Mais je m’éloigne.
Je tiens quand même à préciser que cet interview est très intéressante pour comprendre l’implication des auteurs dans la réalisation de cette mise en couleur.
Et le livre dont il est question ici ne rentre pas dans cette catégorie des albums colorisés.
Non, La Fièvre d’Urbicande mise en couleur est une nouvelle œuvre.
Ni plus belle, ni moins belle.
Elle est !
Par elle-même !
Elle n’a aucunement besoin d’être comparée.M. Destrée
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LA FIÈVRE D'URBICANDE
- Par asbl-creabulles
- Le 15/11/2020
Scénario : Benoît PEETERS
Dessin : François SCHUITEN
Couleurs : Jack DURIEUX
Edition :
ISBN : 978-2-203-20292-4
Dépot légal : Octobre 2020
Nombre de pages : 104Énorme déception pour Eugen Robick, urbatecte de métier et concepteur de la cité d’Urbicande. En effet, sa proposition de construction d’un nouveau et dernier pont pour finaliser l’harmonisation de la cité a été refusée malgré ses nombreux courriers à la Commission des Hautes Instances et sa prise de parole devant cet organe gouvernemental pour défendre son projet. En rentrant chez lui dépité face aux arguments sécuritaires qui lui ont été opposés, il s’aperçoit que l’objet métallique soudainement apparu le matin même sur son bureau, une sorte de cube évidé, s’est légèrement modifié. Des pointes sont apparues à chaque extrémité de cet hexaèdre comme des bourgeons sur une plante. Il n’y prête guère plus attention tant la fatigue le pousse à aller se coucher. Le lendemain, Robick se rend compte que ce cube d’origine inconnue, fait d’une matière indestructible, s’est encore développé. Il s’est incrusté dans son bureau et dans le livre sur lesquels il l’avait posé, sans les abîmer, et il continue de croître d’une manière inquiétante même si cela se déroule de façon harmonieuse, sans déformer ou endommager ce qu’il traverse, simplement en s'élargissant et en fusionnant avec les objets, les murs, les bâtiments. Le cube finit par englober le bureau de Robick, puis sa personne sans jamais le blesser avant de le libérer, puis la pièce entière, l’immeuble, etc. tel le maillage d’un réseau. Et petit à petit, c’est la cité entière qui va se retrouver envahie par cette étrange structure.Mon avis: "La Fièvre d’Urbicande", deuxième tome (récompensé à Angoulême en 1985) de la série "Les Cités Obscures", en est certainement l’album le plus célèbre. Une longue réflexion sur l'homme et ses conditions de vie, ses rapports à l'urbanisation, à la ville mais aussi au pouvoir. La série, on le sait, évolue dans une sorte de monde parallèle au nôtre (tout en lui étant assez semblable par certains côtés), soumis à un régime totalitaire Tout y est soigneusement contrôlés par les autorités selon un équilibre bien planifié. L’apparition d’un cube va venir bouleverser ce schéma. Mais au final en couvrant la ville en formant un réseau, cette mystérieuse structure ne cherche-t-elle pas à tout réunifier, même provisoirement ?
Un scénario de Benoît Peeters déroutant dans lequel on se laisse transporter à condition de faire abstraction de nos limites, celles que nous connaissons, que nous avons acquises ou qui nous ont été inculquées.
Entrer dans l'univers de Schuiten et Peeters, c’est entrer dans un monde situé dans une autre dimension, c’est entrer dans leur imagination.S'il y a un bien un auteur dont on reconnaît le style au premier coup d'œil, c'est bien Schuiten. Un travail tout en nuances et inimitable (voir "12 La Douce", où un mécanicien fait tout pour sauver de la destruction la dernière locomotive à vapeur du modèle Atlantic 12).
"La Fièvre d’Urbicande" a été publiée chez Casterman dans le magazine (À suivre) dès 1983 avant de paraître en album de 94 planches en 1985, en noir et blanc. Et pourtant le récit avait été pensé en couleurs mais à condition de s’en tenir aux 48 planches standard. À l’époque, les auteurs ont fait le choix que l’on sait. D’où l’idée d’une mise en couleur intervenant après maintes rééditions N&B.
Ce projet ambitieux, confié au graphiste et illustrateur Jack Durieux, est étonnant.
On peut s’interroger sur la nécessité de s’aventurer dans un tel projet alors que la superbe version N&B se suffit à elle-même comme le confirme son succès (reconnu, on l’a dit, par le Prix du Meilleur Album à Angoulême dès 1985 et ses nombreuses rééditions). Mais la couleur apporte quelque chose d'impressionnant et de magique au travail si typique de Schuiten – une profusion harmonieuse de traits, de lignes, de hachures et détails finissant par créer une image, une planche, un album.Jack Durieux (à ne pas confondre avec son frère jumeau Laurent Durieux qui a mis en couleur Le Dernier Pharaon également dessiné par François Schuiten dans la série Blake et Mortimer) a parfaitement respecté le travail de Schuiten. Il souligne la beauté de la cité, un monde loin d’être froid et dépourvu de vie grâce à tous ces personnages également si typiques du dessinateur, qui applique un trait plus léger sur les arrière-fonds pour bien mettre en avant les premiers plans et en particulier les personnages.
La mise en couleur de Durieux dans des tons plutôt chauds et doux met en valeur le travail de Schuiten en y soulignant la lumière et les ombrages.
Elle est tout à fait respectueuse du travail d’orfèvre du dessinateur mais Jack Durieux a toutefois dû intervenir sur le trait, atténuer l’encrage initial pour que sa mise en couleur soit la plus naturelle possible.
On peut dire que pour cette version colorisée, Jack Durieux s’est réapproprié l’histoire.
Les deux versions continueront donc de coexister pour notre plus grand plaisir.Album également édité en tirage de tête à tirage limité (700 ex.) avec ex-libris exclusif ( ce tirage de tête est chroniqué par M. Destrée très bientôt)
SDJuan
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LE LOUP M'A DIT
- Par asbl-creabulles
- Le 13/11/2020
Scénario : Jean-Claude SERVAIS
Dessin : Jean-Claude SERVAIS
Couleurs : RAIVES
Dépot légal : Octobre 2020
Editeur :
Collection : Air Libre
ISBN : 979-10-34747-90-0
Nombre de pages : 65Si vous me suivez dans mes albums, vous savez que depuis ma visite au Piconrue-Musée de la Grande Ardenne situé à Bastogne pour découvrir la magnifique exposition consacrée à Jean-Claude Servais, j’ai repris goût à son dessin.
Depuis juillet, j’ai pratiquement lu toute sa production avec passion et intérêt. J’ai découvert des récits passionnants, captivants, plein d’émotions et de personnages attachants. Des histoires, des gens bien de chez nous (je suis Ardennais, voisin des Gaumais). Dans des décors ruraux, forestiers de toute beauté. Sans oublier la merveilleuse faune dont l’auteur est amoureux.Ce récit est différent, nous suivons Ambre, Louis, Charles, Loba et les loups à travers les âges de l’histoire. En commençant au paléolithique pour terminer à l’époque moderne dans la forêt où vit Loba. Si les passages d’une époque à l’autre sont parfois confus, on accepte facilement que les personnages aient le même prénom et vivent presque les mêmes situations. Est-ce tout simplement la réincarnation qui serait choisie par l’auteur?
L’importance est ailleurs, ce voyage dans le temps sans véritable recherche historique dans les costumes gaulois notamment, a une autre raison : décrire la lente puis rapide destruction de la nature, des loups, des relations homme-animal (ici le loup) au profit de l’industrie, de la rentabilité et du progrès.Comparé aux autres livres, celui-ci est moins captivant suite à cette longue introduction où les personnages ne font que passer. Mais ce n’est que le premier récit et le deuxième sera certainement plus attirant car la trame historique s’est arrêtée dans cette forêt sur la "Roche à l’Appel" avec une jeune pétrologue qui va certainement rencontrer la mystérieuse Loba.
Si maintenant le dessin de Servais est parfois plus esquissé au profit de la couleur de Raives, il ne peut s’empêcher pour notre bonheur de dessiner des loups superbes (quel regard!), de magnifier la forêt et de s’attarder sur la finesse de certains traits féminins.M.Destrée
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SHAOLIN 1
- Par asbl-creabulles
- Le 13/11/2020
Tome 1/3 - L'enfant du destin
Scénario : Jean-François DI GIORGIO
Dessin : LOOKY
Couleurs : Olivier MAY
Dépot légal : Septembre 2020
Editeur :
ISBN : 978-2-302-08967-9
Nombre de pages : 46À la recherche d’un travail, un guerrier à l’allure menaçante s’approche d’un groupe d’hommes pour leur demander s’ils ont besoin de main-d’œuvre. Pour toute réponse, il entend un laconique "On est déjà assez nombreux comme çà". Il réitère néanmoins sa demande et, à peine a-t-il reçu un nouveau refus, qu’il tue net les deux hommes à portée de sa main. Ailleurs, au Monastère des Trois Royaumes, le jeune Nuage Blanc, souffre-douleur de ses camarades disciples du maître Yuan Jia, s’interroge sur les visions qui le hantent même si son maître Huo l’a rassuré en lui disant qu’elles sont le signe d’un don et non d’une infériorité comme le prétendent ses camarades. Et ailleurs dans le royaume, trois guerriers ninjas prêts à donner leur vie se sont introduits dans le palais de Ly Jiong. Ils sont venus dérober la Chambre d’Ambre, un objet d’une très grande valeur mystique doté de pouvoirs dévastateurs qui vient d’être apporté au palais et remis au seigneur. Si deux guerriers ont été tués lors de l’assaut, le dernier a réussi à s’échapper avec l'artefact qu’il ne faut en aucun cas réveiller. Tandis que le frère du seigneur propose d’engager une chasseuse de primes pour retrouver l’artefact, la nouvelle du vol se répand jusqu’au monastère. Bien qu’il ne soit pas encore prêt, Nuage Blanc se voit confier par maître Yuan Jia la mission des plus périlleuses de retrouver la Chambre d’Ambre sinon le pays risque bien de subir la plus grande des malédictions.
Mon avis : Jean-François Di Giorgio délaisse provisoirement l'univers des Samuraïs (trois séries en cours) pour nous plonger dans celui des moines Shaolin, mais dans une version "édulcorée" par rapport à la réalité que vivent ces moines au quotidien, bien plus dure et caractérisée par un entraînement quasi perpétuel. S’agissant avant tout d’une aventure, le récit se veut donc léger et plaisant avec une bonne dose de fantastique, de mystère et de magie noire. On entre directement dans l'intrigue qui développe plusieurs histoires en parallèle mêlant aventure, arts martiaux, pouvoirs surnaturels et humour, en faisant intervenir plusieurs personnages qui vont certainement apporter leur lot de surprises. Di Giorgio en dévoile assez pour nous captiver et nous accrocher même si on en sait encore peu sur les différents protagonistes, notamment le don de Nuage Blanc et la manière dont il va s’en servir mais aussi sa petite amourette, la chasseuse de prime engagée par le frère du seigneur du palais de Ly Jiong et sur le rôle que celui-ci va être amené à jouer, les ennemis qu’ils vont devoir affronter … Mais à ma grande surprise, le scénariste élimine d’emblée des personnages forts comme ces deux ninjas (sur trois, ouf) venus dérober l’artefact. En tout cas, l’aventure ne fait que commencer et annonce des développements tous azimuts. L'histoire est prévue en trois tomes.
Au dessin, Looky fait fort : un découpage dynamique, des cases de différentes tailles, parfois emboîtées ensemble sans que l’on perde le fil de la narration, des vues et plans variés, rapproché, plongée, contre-plongée, un graphisme aéré et aérien transmettant une sensation de puissance, notamment sur les scènes de combat dans la lignée des légendes asiatiques avec des bonds prodigieux. Des décors, des paysages et des costumes soignés pour un résultat visuellement agréable souligné par la mise en couleurs lumineuse d’Olivier May.
SDJuan
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ALIX SENATOR 11
- Par asbl-creabulles
- Le 12/11/2020
Tome 11 : L'esclave de Khorsabad
Scénario : Valérie MANGIN
Dessin : Thierry DÉMAREZ
Couleurs : Jean-Jacques CHAGNAUD
Edition :
ISBN : 978-2-203-20830-8
Dépot légal : Novembre 2020
Nombre de pages : 46Khorsabad. S'il y a bien un lieu en Assyrie qui est synonyme de tragédie pour Alix, un lieu où une partie de lui est restée à jamais, c'est bien Khorsabad. C’est là que son père a trouvé la mort il y a une quarantaine d'années et qu’Alix a été fait prisonnier. Aujourd'hui, en 11 avant notre ère, Alix est de retour pour retrouver les traces de son passé. Alors qu'il assiste à la représentation d’une œuvre dramatique dans le théâtre de la ville, des troubles surviennent car la haine envers les Romains est toujours bien présente. Les choses s’enveniment rapidement et tournent mal pour Alix qui est arrêté et conduit devant le seigneur parthe Barzapharnès. Celui-ci décide même de le retenir prisonnier. En fait, ses véritables motifs sont tout autres. Il est persuadé qu’Alix est revenu à Khorsabad car il est le seul à connaître l'emplacement exact où serait caché un trésor. Barzapharnès va tout faire pour le convaincre de l’aider à trouver cet or dont il a besoin pour provoquer Rome et déclencher une nouvelle guerre avec les Romains.Mon avis : Avec ce tome 11, Valérie Mangin récidive en faisant un retour dans le passé en lien direct avec les anciens albums. Si Alix Senator est indépendant de la série-mère, ces évocations sont un bon moyen de lui rendre hommage et Valérie Mangin la fait revivre avec talent. Alix poursuit donc son voyage vers son passé pour oublier Rome et tous ses mauvais souvenirs. Nous le retrouvons donc avec plaisir dans cet épisode qui le mène à Khorsabad en tant que Sénateur cette fois, ce qui ne va pas l'empêcher de tomber dans un piège et d’être une nouvelle fois fait prisonnier. Alix va aussi croiser cette femme qui ressemble à Enak avec lequel il a tant partagé au point qu’il va prendre des risques en voulant la défendre. Belle aventure sous forme de comeback où l’on retrouve tous les ingrédients faisant le succès de la série, à commencer par le contexte historique et politique toujours bien raconté. Un album qui donne envie de relire "C'était à Khorsabad" (scén. Jacques Martin, François Maingoval ; dessin de Christophe Simon et Cédric Hervan et couleurs de Dina Kathelyn) paru en 2006.Thierry Démarez nous offre une fois de plus un superbe album en prenant soin de chaque détail, tant pour les costumes que pour les décors intérieurs et extérieurs, aussi bien dans les premiers plans que dans les seconds. Des scènes d’action bénéficiant d’un très bon découpage et une belle mise en page au profit de la narration. Si la qualité du dessin est bien présente, elle est encore accentuée par la mise en couleurs de Jean-Jacques Chagnaud, respectueuse des détails et mettant en valeur le travail du dessinateur par l’utilisation de teintes douces et agréables. Ce travail sur la colorisation est aussi un atout indéniable de la série.
Comme de coutume, l’album existe aussi en Édition Luxe à dos toilé, avec un cahier historique supplémentaire de 8 pages.SDJuan