Après deux années de festival virtuel sobrement intitulées "Comic Barcelona on demand", il y avait comme une ambiance de retrouvailles à Barcelone en ce début mai 2022 chez l’ensemble des professionnels et amateurs de la BD. En effet, c’est avec soulagement, plaisir et enthousiasme que maisons d’édition, auteurs, journalistes et public ont retrouvé le chemin du site de la Fira Barcelona Montjuic pour la 40^e édition du Salon international de la BD de Barcelone (Comic Barcelona) du 6 au 8 mai 2022, une édition qui célèbrait le 40^e anniversaire d’un événement créé en 1981 (les 38^e et 39^e éditions, respectivement en 2020 et 2021, ayant été annulées en format physique en raison de l’épidémie de Covid-19).Cette année, l’affiche du festival était signée par Carla Berrocal, une illustratrice engagée dans le mouvement LGBT et également enseignante au sein d’ateliers sur la bande dessinée et les romans graphiques dans diverses institutions. Les exposants (près de 200 annoncés) et la plupart des activités étaient concentrés dans les bâtiments 2 et 5 de part et d’autre de la place de l’Univers où avait été installée une statue des fameux personnages Mortadelo et Filemón du célèbre auteur espagnol Francisco Ibáñez et où l’on pouvait prendre quelques moments de répit et/ou partager un verre, un café ou se sustenter auprès des divers "food trucks".Retour en présentiel réussi par conséquent pour Comic Barcelona qui, selon les organisateurs, a accueilli près de 110.000 visiteurs, soit presque autant qu’en 2019 (112.000). Le festival a également été honoré de la visite officielle d’Ada Colau, la maire de Barcelone, accompagnée du ministre espagnol de la Culture, Miquel Iceta, le vendredi en fin d’après-midi et de Pere Aragonès, le président de la Generalitat de Catalunya, l’organisation politique de la communauté autonome de Catalogne, au cours de la journée du dimanche.Comme de coutume, plusieurs expositions ont constitué un élément important du festival, notamment celle installée dans le bâtiment 5 illustrant le parcours du festival de la BD de Barcelone depuis sa création en 1981. Le festival qui n’a pas eu lieu en 1986 et 1987 s’est déroulé dans divers lieux de Barcelone : d’abord au Palais d’Alfonso XIII utilisé comme parc d’expositions au pied du Palais national de Montjuic de 1981 à 1985, puis dans les arsenaux (drassanes) près du port de 1988 à 1990 et à partir de 1991 dans le Marché du Born (Mercat del Born) dans le quartier populaire de la Ribera. En 1994, le salon s’est installé dans la gare de Barcelona-França près du Parc de la Ciutadella et de la mer, avant de retrouver Montjuic à partir de 2005 dans les bâtiments de la Fira Barcelona, près de la place d’Espagne et le long de l’avenue de la reine Maria Cristina. Cette exposition des 40 ans du Festival de Barcelone a permis de (re)découvrir toutes les affiches dues à autant de dessinateurs ainsi que divers documents (texte ou photo) des précédentes éditions, le tout agrémenté d’anecdotes ou d’illustrations des événements importants de chaque année, y compris les noms de tous les lauréats du Grand Prix du festival ainsi que l’évolution et les progrès de la bande dessinée en Espagne, y compris l’arrivée du roman graphique puis du manga au fil des années.

Autre exposition particulièrement intéressante, celle consacrée à l’Escola Joso, qui célèbrait également ses 40 ans d’existence, années au cours desquels elle a accompagné le festival et formé un très grand nombre d’étudiants aux arts graphiques et à la bande dessinée. 40 ans, 40 noms d’élèves aux profils différents de l’Escola Joso désormais reconnus dont je citerai quelques-uns des plus jeunes comme Josep Homs (Shi), Jaime Martín (Nous aurons toujours 20 ans), Roger Ibañez (Jazz Meynard), Pedro J. Colombo (Le photographe de Mauthausen), Francis Portela (comics) parmi tant d'autres… Un petit regret toutefois : très peu d’originaux pour enrichir ces deux expositions.

En revanche, Ficomic a rendu un vibrant hommage à Miguel Gallardo disparu en février 2022 en lui consacrant une très belle exposition qui présentait plusieurs dizaines d’originaux retraçant sa fabuleuse carrière. Cet auteur qui est l’un des plus connus en Espagne a été très actif dans le domaine de la BD indépendante (underground) dans les années 80. Il a ainsi largement collaboré au périodique El Vibora qui a profondément renouvelé la bande dessinée adulte espagnole en publiant divers artistes nationaux comme Juan Mediavilla (scénariste de la série Makoki), Montesol, Martí, Alfredo Pons, etc. ou étrangers comme Robert Crumb, Gilbert Shelton, René Pétillon, Liberatore… tous représentants de la tendance underground. Gallardo a également été l’un des fondateurs de la revue Makoki, du même nom que sa série et que son personnage principal. Il s’est ensuite tourné vers l’autobiographie, réalisant notamment en 1998 le récit Un largo silencio (les souvenirs de son père sur la Guerre Civile). On lui doit également en 2007 la BD autobiographique María y yo, récit d’un de ses voyages aux îles Canaries avec sa fille Maria qui est autiste (publié en français sous le titre Maria et moi chez Rackham) dans lequel il a souhaité délivrer un message d’espoir. En 2008, l’album a reçu le prix du Meilleur Album et Meilleur Scénario au Salon del Cómic de Barcelone ainsi que le Premio Nacional del Cómic de Cataluña. Le livre a été porté à l’écran par Félix Férnandez de Castro sous le titre María y yo, dont María et Miguel Gallardo sont les protagonistes. Le film a été récompensé d’un Goya en 2011. En 2015, il publie la suite sous le titre María cumple 20 años (Maria a 20 ans en VF chez Rackham). Dans son dernier ouvrage publié en 2020 Algo extraño me pasó camino de casa (Quelque chose d'étrange m'est arrivé sur le chemin du retour), il raconte son combat contre le cancer avec humour et sans drame. 

Le festival est surtout un grand moment de découverte des nouveautés publiées en Espagne par les diverses maisons d'éditions nationales, notamment Ponent Mon, Dibbuks, Norma Editorial, Planeta Cómic, Astiberri Ediciones, Ominiky Ediciones, etc.

Nous avons croisé quelques cosplay plus originaux et réussis les uns que les autres

Notre favorite : Andréa !

et nous sommes attardés davantage sur quelques stands :

- ECC Ediciones qui recevait divers auteurs espagnols travaillant pour le "comics" notamment Fernando Blanco, que Créabulles avait accueilli lors de son tout premier BDTrip en 2014, ou Jesús Merino, ainsi que Jorge Jiménez très actif sur les réseaux sociaux, et, pour le marché franco-belge, Alfonso Font ainsi que dans le cadre du Spaceman Project Adrián Fernández (Le Roi Louve) et Enrique Fernandez. N’oublions pas Paco Roca, toujours aussi aimable et affable avec son public, que je voulais absolument rencontrer pour l’album Batman dont il a réalisé la variant cover spéciale Espagne et l’une des aventures de l’album. Le stand ECC présentait également à l’arrière une exposition d’originaux tirés de l’album Nacido Salvaje de Fernando de Felipe présent avec son scénariste, Óscar Aibar.

- Harriet Ediciones où j'ai pu enfin rencontrer en personne le directeur Gregorio Muro Harriet qui est également scénariste des mini séries qui avait attiré toute mon attention lors de leur sortie La Honte et l'Oubli et Les Dragons de la Frontière. Ce fût une rencontre des plus intéressantes qui pourrait déboucher sur de nouveaux projets communs.

- Penguin Random House Grupo Editorial qui a réussi à publier (en espagnol et catalan) l’album Élise et les nouveaux partisans (paru chez Delcourt en novembre 2021) et recevoir sur son stand l’une des grandes figures de la bande dessinée française, Jacques Tardi accompagné de son épouse Dominique Grange, pour une séance de dédicaces qui précédait une master class particulièrement intéressante et instructive que les auteurs ont donnée dans le bâtiment 5 où, le lendemain, ils se sont prêtés comme beaucoup d’autres participants au jeu des questions-réponses.- Yermo Ediciones, maison d’édition en pleine croissance dirigée par Carles Muñoz Miralles, qui a reçu sur son stand très original construit en légos géants le dessinateur Jérôme Lereculey pour ses séries Las 5 tierras, Wollodrin et Arturo, ainsi que nos amis Xavier Besse (Laowai), Alex Sierra (Orcos & Goblins) Joan Urgell (Dead Life) et enfin Jaime Calderón (Valois) avec lequel nous préparons une expo Créabulles en juin prochain. Le voyage à Barcelone était également destiné à récupérer les originaux (planches, dessins et illustrations) qui seront exposés du 4 au 18 juin à Bruxelles. 

- Enfin, Dolmen Editorial qui, à ma plus grande joie, a édité deux albums incontournables pour tous ceux qui ont connu la fabuleuse période des couvertures Vertice illustrées pour beaucoup d’entre elles par le grand López Espí, comme ce fut le cas des couvertures françaises (Strange, Spécial Strange, etc) des années Lug dessinées par Jean et Thomas Frisano, Jean-Yves Mitton et Ciro Tota.Surprise et plaisir enfin de rencontrer de manière inopinée sur le stand de La Casa del Libro le célèbre Juanjo Guarnido accompagné de Juan Diaz Canales, quasi inaccessibles chez Norma Editorial vu le nombre d’aficionados à toutes les séances de dédicaces prévues. Ce festical est bien entendu l'occasion de revoir tous ses amis dont Rafel Porta Oller fait évidemment partie depuis les années des désormais mythiques Jornadas Comiqueras, et connaissances liées à la BD/comics. N'oublions pas non plus l'Artist Alley, où nous avons pu échanger et passer de bons moments avec Tirso Cons ainsi que Joan Mundet que nous avons exposé avec succès à la Galerie Passerelle Louise (Capablanca et Sous un soleil de plomb) en mars dernier mais que nous n'avions pas pu recevoir à Bruxelles à cause d'événements indépendants de notre volonté.Le festival est avant tout un lieu très festif particulièrement fréquenté le samedi tant par les festivaliers et amateurs de dédicaces et collectionneurs que par un public familial en quête de divertissement et de détente. Chacun y trouve son bonheur vu le nombre de vendeurs de figurines/objets para-BD et de collection (librairies, Artist Alley, Fanzine Zone, etc.), de même que les amateurs de cosplays colorés qui en animent les nombreuses allées et qui, cette année, disposaient d’un étage réservé pour leurs concours et combats habituels. Les jeux de rôle ont aussi bénéficié d’une belle vitrine grâce à l’exposition réalisée par Cels Piñol, l’auteur de la série Fanhunter, dans un nouvel espace appelé Comic Fantasy où l’on pouvait participer à diverses sessions de jeu en live, ainsi que toutes les activités liées à l’animation et aux univers imaginaires. Beaucoup d’activités sont à destination du jeune public dans l’espace Cómic Kids à vocation attractive et pédagogique et le jeu vidéo est toujours aussi fréquenté dans le vaste espace Nintendo Switch.En guise de conclusion, pour en finir avec la polémique soulevée l’an dernier, les organisateurs de Cómic Barcelona ont choisi de célébrer leur 40^e édition avec un prix indiscutable. Désormais, seuls les "scénaristes, dessinateurs ou coloristes" sont éligibles au Grand Prix de la Bande Dessinée de Barcelone et en cette année 2022 le prix a donc été attribué en reconnaissance de sa carrière à l’immense auteur Daniel Torres (Claudio Cueco dans la revue El Vibora, L’ange déchu, Opium, Sabotage!, Roco Vargas, et tant d’autres publications tout aussi passionnantes).

Et parmi les autres récompenses, citons notamment :

- "El pacto" (Nuevo Nueve) de Paco Sordo, meilleure oeuvre d'un auteur espagnol publié en Espagne

- "Piel de hombre" (Norma Editorial) du regretté Hubert et de Zanzim, meilleur album étranger

- "Nicoleta y el misterio del colmillo" (Sallybooks) de Katia Klein et Rut Pedreño, meilleur album jeunesse 

- "Cols vol.2 - Una noche en infierno" de Clara Cùabez et Olivia Cábez, meilleur fanzine de l'année.

- Premio Miguel Gallardo : Genie Espinosa 

FPatrick et SDJuan