China Li
Double rencontre en cette fin d’octobre – interview dans les locaux de Casterman le matin puis dédicace chez BDWeb dans l’après-midi – avec le couple que forment Maryse et Jean-François CHARLES à l’occasion de la parution du troisième et avant-dernier tome de leur très belle série CHINA LI.
Dans le tome 1 on découvre la petite Li dans un monde violent. Le deuxième tome évoque son passage à Paris où elle va développer ses compétences artistiques mais aussi sa relation amoureuse. C’est là que naissent son désir et son besoin de reprendre contact avec son père adoptif Zhang. Elle va même retourner en Chine, dans un pays sujet à de grands bouleversements. Dans ce troisième tome l’accent est mis sur le passé et l’ascension de Zhang dans le milieu des triades. Quant à Li, elle va vouloir se rapprocher de Mao Zedong dans le contexte de la Révolution communiste.
Juan : Comment avez-vous vécu et vivez-vous encore la pandémie depuis bientôt deux années déjà ?
Jean-François Charles : Tous les dessinateurs le disent, on a l’habitude de vivre de manière assez confinée. Il y a une certaine solitude dans notre travail. Avec Maryse, on est habitués à vivre ensemble, à travailler ensemble, donc pour nous ça n’a pas changé grand-chose sauf qu’on a travaillé davantage car on s’est enfoncé encore plus dans le travail. Mais évidemment comme tout le monde, la famille, les enfants, les petits-enfants, les amis, les sorties, etc, tout le monde a ressenti cela douloureusement. On aura l’occasion d’y revenir peut-être parce que c’est vrai qu’on a beaucoup travaillé.
On a un autre album qui va sortir et je pense qu’on ne l’aurait pas fait s’il n’y avait pas eu cette pandémie. Il y avait cette envie de sortir un peu de ce marasme. C’est une chance de pouvoir s’enfoncer dans le travail et de rêver dans ces paysages de la Chine.
Juan : Le dessin et l’histoire de cette aventure vous permettaient de voyager en Chine en quelque sorte.
J-F : Oui tout à fait, franchement on était en Chine. Mais comme beaucoup de monde, on a souffert et on a perdu des gens, je pense notamment à ce jeune de 26 ans qui était venu nous dire bonjour, cela nous fait toujours plaisir, et il s’est écroulé.
Maryse : C’était un ami de notre fille.
J-F : Ça a été très dur.
Maryse : Quand on a la chance d'avoir une maison et un jardin, ça aide...
Juan : Oui c’est vrai et plus encore quand il y a la glycine en fleurs, c’est très agréable... Une question que j’ai toujours voulu vous poser sans jamais oser le faire : Qu’est-ce qui vous a amené à faire de la BD et quelle a été votre première lecture BD ?
J-F : Depuis ma plus tendre enfance je n’ai jamais voulu faire que cela. On ne disait même pas "de la BD". Je disais que je voulais faire des livres comme Tintin. Mais on ne connaissait que ça. Aujourd’hui, il faut dire "bande dessinée" (rires). J’ai eu aussi la chance d’avoir des parents qui avaient estimé que ça pouvait être un métier, et ça c’était extraordinaire.
Maryse : Quand on s’est rencontré, on avait 16 ans. Jean-François était déjà dans la "bande dessinée" et on a travaillé pour des journaux d’étudiants. On a donc toujours travaillé ensemble. J’avais une autre approche de la BD. J’allais une fois par semaine chez ma grand-mère paternelle et je lisais la "Manitoba ne répond plus" parce qu’il n’y en avait pas d’autres, et puis mes parents m’ont abonné au journal "Line", c’est ma première approche de la BD.
J-F : Quand on revoit l’époque, il y avait très peu de livres, on en avait deux ou trois pas plus qu’on se repassait entre frères. Ça n’a plus rien à voir avec aujourd’hui. On n’avait même pas la télévision. Mais il y a des choses qui marquent, les images qu’on a pu voir, etc. De tout manière, à l’âge que j’ai, si je n’avais pas pu faire ça j’aurais vraiment été terriblement malheureux mais j’aurais été probablement collectionneur de bandes dessinées. Je me serais passionné et j’aurais certainement aussi fréquenté les salons et festivals.
Juan : C’est un peu mon cas.
J-F : Mais oui, je comprends, il y a l’image qui attire et qu’on a envie de réaliser. C’est ce qui sauve un peu la BD par rapport aux autres médias. La BD on la regarde en y consacrant le temps qu’on a envie car on peut la lire en une demi-heure mais cela peut aussi prendre 2 ou 3 heures car on peut s’arrêter sur des images et lire à son rythme aussi. Tandis que dans les autres médias, on est tributaire de ce qu’on nous offre. Je pense que c’est ça aussi qui nous attire dans la BD, le dessin, l’illustration…
Patrick : Et la peinture aussi ?
J-F : Oui parce que je suis passionné par les deux. Quand je suis rentré aux beaux-arts à Bruxelles, c’était pour échapper à l‘enseignement traditionnel car j’avais le sentiment de faire du sur place. J’y suis rentré à l’âge de 15 ans, mais la peinture qu’on enseignait à l’époque ou maintenant ce que l’on appelle des peintres, ne m’intéressent absolument pas. Si on m’avait enseigné la peinture du début du 20e siècle, une peinture qui raconte des histoires, plus classique, j’aurais fait de la peinture. Je fais toujours de la peinture et grâce à la BD et à la couleur directe, j’ai pu combiner les deux. Avant quand je faisais une BD, la récompense c’était la couverture car il s’agissait d’une peinture. J’utilisais de la peinture à l’huile. Et j’aimais bien cela, évidemment. Puis la couleur directe est venue grâce à l’imprimerie qui a fait beaucoup de progrès, puisqu’au départ avec la couleur directe, on avait des résultats assez tristounets, je ne sais pas si tu t’en souviens…
Juan : Oui, pas mal de couleurs qui ne passaient pas bien.
J-F : Oui, c’est ça… et puis il y avait toujours un petit flou, et du coup, c’était moins attirant. Même les imprimeurs et les éditeurs n’aimaient pas. Et puis, tout à coup, il y a eu ce bond. La sélection des couleurs, les prix se sont démocratisés d’une façon extraordinaire, et les imprimeurs offrent finalement de meilleurs résultats. Ce n’est pas encore au top. Ils ont beau avoir une gamme chromatique extraordinaire, mais il y a des tons qu’on ne peut toujours pas obtenir. Je sais qu’il y a un certain bleu que j’aime bien employer mais que je n’arrive pas à avoir en imprimerie. Malgré tout, ces progrès ont ouvert des possibilités. J’ai donc pu combiner le plaisir de raconter des histoires et de peindre, ce qui est extraordinaire.
Maryse : On le voit bien dans son artbook de l’année dernière (lire notre chronique ici).
Juan : Justement, le fait de passer du noir et blanc à la couleur a dû être comme une libération pour toi.
J-F : Tu parles du trait noir, ce que l’on appelle généralement la ligne claire. J’aime bien le travail du noir et blanc mais ce qu’il faut savoir aussi, c’est qu’à une époque, il était obligatoire pour l’imprimerie, la bande dessinée. On me disait toujours que quelqu’un comme Morris dans Lucky Luke, que j’admire énormément – c’est un immense dessinateur – travaillait aussi en fonction de l’imprimerie car il savait quelque part ce que ça allait donner. Et il était hyper efficace.
Juan : C’était l’époque qui voulait ça mais les gens étaient très efficaces.
J-F : Mais je crois aussi qu’il y avait une certaine frustration chez certains dessinateurs. Jacobs par exemple, quand tu vois ses premiers travaux, utilisait du crayon, des grisés, etc. Donc, supprimer tous ces grisés était quelque chose de difficile pour lui.
J’ai connu l’imprimerie parce que j’ai travaillé pour des journaux à mes débuts et je gagnais péniblement ma vie. J’ai fait un peu de caricatures aussi, mais c’était une époque où on utilisait des clichés en zinc ou en cuivre et il ne fallait donc pas commencer à mettre des petites lignes parce que ça ne passait pas. De plus les imprimeurs nous disaient de ne pas faire des trucs pareils pour les journaux. Je me rappelle aussi quelque chose que tu n’as peut-être pas connu, les "toutes-boîtes" reçus à la maison. Quand on voyait une affiche de cinéma c’était tout petit, souvent bien fait, et je pense qu’il devait y avoir des chefs-d’œuvres à la façon de Frans Masereel qui travaillait la gravure au burin. Mais c’était fait pour l’imprimerie et pour être publié sur quelques centimètres seulement.
Pour en revenir à la ligne claire de Jacobs, ça devait être une frustration pour lui. Quand tu vois les premiers dessins de l’Espadon, etc., il y a des petites lignes, du crayon mais tout ça a été supprimé car il aurait fallu qu’il ait une certaine efficacité par rapport à l’imprimerie. Par après, on a eu plus de liberté et on a pu commencer à travailler d’une manière différente. Heureusement, car je pense que je me serais lassé de la bande dessinée à cause de cela. Je trouvais dommage de bien travailler au crayon, des grisés et ensuite il fallait mettre un fil de fer noir tout autour mais heureusement cela n’est plus nécessaire aujourd’hui. D’ailleurs, les jeunes dessinateurs l’ont compris, puisqu’ils laissent du crayon et ça passe bien.
Juan : Oui, grâce à ces avancées, les auteurs peuvent aussi s’essayer à de nouvelles techniques.
J-F : Oui, tout à fait, dans le matériel tu avais la plume à profiler. Hergé c’est de la plume à profiler, Franquin utilisait aussi cette plume, je ne sais plus comment s’appelait cette plume épouvantable. Et en plus, la plume n’était efficace qu’au bout d’un moment, et c’était à ce moment-là qu’elle ne fonctionnait plus. Le papa de Maryse travaillait à la Caisse d’épargne avec des plumes aussi et il m’en avait donné quelques-unes et je les utilisais.
Maryse : C’était dans les années 70.
J-F : La plume Sergent-Major, ou quelque chose comme ça. J’adorais cette plume mais ensuite elle a disparu. C’est dommage car je m’y étais habitué. La plume et le tire-ligne pour faire les cases, c’était quelque chose. Quand je voyais à l’époque les originaux de Morris, c’était extraordinaire, il les traçait en sachant exactement ce que ça allait donner.
Juan : Votre parcours est tellement riche que je pense que nous devrions passer tout de suite à votre dernière série, China Li. Comment vous est venue l’idée de raconter une histoire autour de la Chine du début du XXe siècle ? Est-ce un choix mûrement réfléchi ou est-ce un coup de foudre suite à une expo, une photo…
Maryse : On avait déjà traité l’Égypte et l’Inde et il nous fallait aussi une autre civilisation avec une histoire au contexte historique fort. Donc pour nous la Chine s’est imposée d’elle-même. On ne connaissait pas grand-chose de la Chine. Mao, comme tout le monde évidemment, Tchang Kaï-chek, le fleuve Yang-Tsé-Kiang, quelques villes…
Patrick : La Grande Muraille...
Maryse : ... la Cité Interdite mais ça se résume à une vingtaine de mots maximum. Et c’est ce qui nous plaît beaucoup, quand on travaille sur quelque chose, qu’on va à la découverte d’un continent, d’un pays, d’un personnage.
J-F : Je me rappelle le premier livre qu’on avait, je l’ai toujours d’ailleurs, il n’a plus sa reliure tellement on a feuilleté et regardé ce bouquin. C’est un Timelife ou quelque chose dans le genre. Je me rappelle qu’on avait du mal à comprendre tellement c’était compliqué, les seigneurs de la guerre, les alliances et affrontements entre nationalistes et communistes.
Ce qui est passionnant justement c’est quand cela devient plus familier. Des noms comme Sun Yat-sen qui a été l’un des premiers à vouloir unir la Chine mais qui malheureusement est mort d’un cancer. C’est son beau-frère, Tchang Kaï-Chek, qui va vouloir être son dauphin.
Il faut dire qu’à cette époque, la Chine comptait 500 millions d’habitants. Aujourd’hui, c’est 1,3 milliard.
Maryse : C’était encore médiéval à l’époque, à la fin de la Cité Interdite, et maintenant dans certains villages reculés, c’est pareil.Juan : Comment s’est passé votre voyage en Chine ?
J-F : Contrairement aux autres pays, sur le moment ça ne me disait rien. Maryse est une grande voyageuse, mais moi pas trop. Je l’ai écoutée, j’écoute toujours ce que dit Maryse, et je ne regrette rien évidemment. En plus, je suis souvent malade.
Maryse : Il est agoraphobe, alors imagine dans des pays comme la Chine…
J-F : En plus, la Chine, je ne voulais même pas y aller. C'est devenu tellement différent de la Chine des années 20. Même en séance de dédicaces quand on disait qu’on pensait aller en Chine (c’était à la moitié du premier album), les gens nous répondaient : "Pourquoi aller en Chine, allez plutôt au Vietnam !". Je leur disais : "On fait une BD sur la Chine !" On nous répondait : "La Chine, les Chinois, ils ne sont pas gentils, ils crachent par terre !" Tout le négatif, donc. Finalement on y est allés et ils sont adorables, les gens étaient charmants.
Juan : Comment avez-vous créé vos personnages, d’après de la documentation, des connaissances, des personnalités connues ou est-ce venu naturellement ?
J-F : Pour comprendre un visage chinois sans faire de caricature, il fallait donc essayer de rencontrer et de voir des Chinois, et donc l’idéal c’est d’aller sur place. Il nous fallait donc prendre des photos, des bâtiments historiques on en trouve, mais des photos d’objets de tous les jours, ça c’est important. Par exemple une clenche de porte, une fenêtre, des détails, des chaises, des meubles, etc. Mais ça, on ne peut le faire que sur place. Pour revenir aux visages chinois, il n’y a pas qu’un seul visage ! Sur 1,3 milliard de Chinois, tu imagines !
Maryse : Il y a beaucoup d’ethnies aussi.J-F : On s’était dit qu’on allait les photographier. Mais c’était facile car on en avait envie mais eux aussi voulaient nous prendre en photo. On a donc fait des photos, des échanges de photos, sur la place Tien An Men par exemple.
Maryse : On doit être aussi dans les albums-photos de nombreux Chinois !
J-F : Ah oui, on était étonnés de les voir mais eux aussi. Tu vois, il y en a même qui nous ont pris en photo avec leurs petits-enfants. C’était drôle. Pour eux, on a de grands nez, des yeux de chiens. C’est comme ça qu’on échangeait les photos. Et c’était passionnant. Par exemple, j’ai une petite anecdote : dans une ville magnifique, Pingyao, on avait vu une très belle dame. Je me disais, c’est Li à quarante ans, je la vois comme ça. Elle était avec sa maman, c’était aussi une touriste. Elle portait une veste dans les tons kaki qui faisaient penser à cette époque. Je disais donc à Maryse : "Tu vois, c’est le visage de femme chinoise qui collerait à ce dont j’ai besoin".
Maryse : Et moi : "Mets toi le plus possible à côté d’elle et je prends plein de photos où elle apparaîtra aussi".
J-F : Je voulais aussi des photos de face, de profil, de trois quarts. Et quand on s’est approchés, elle était toute contente de nous prendre en photo et nous aussi, tu penses.Et c’est donc exactement le visage que je vais utiliser dans China Li 4 car Li a 40 ans dans le prochain album. C’est difficile de faire évoluer, vieillir un personnage, un visage, surtout quand c’est une femme, et cela tombait très bien.
On a eu beaucoup de chance à Shanghai, c’est une ville extraordinaire même si cela n’a absolument plus rien à voir avec l’époque de China Li.
Maryse : Il reste quand même quelques ruelles le long des quartiers de la concession française, c’étaient des quartiers pauvres.
J-F : C’est comme ça qu’on s’est attachés à la Chine mais au début j’avais très très peur. C’est toujours la hantise quand on va passer trois-quatre ans sur un travail mais ça a été passionnant. Quant au quatrième, on vient de terminer le scénario. L’histoire de la Chine est terrible, épouvantable, c’est la misère, la vie humaine n’a aucun prix, on le disait tout à l’heure Mao Zedong c’est 70 millions de morts.
Juan : Maintenant on comprend d’où vient Li. Mais Zhang, d’où vient-il ? C’est un visage qui vous a marqué ?
J-F : Au début ça devait être juste un personnage et puis on s’y est attachés. Après le premier tome, on a parfois eu quelques réflexions de personnes nous disant que le personnage était intéressant, mais moi je trouvais cela bizarre, parce que normalement les eunuques ne l’étaient pas souvent. Ils prenaient du poids.
Maryse : Ça dépend de l’âge auquel ils étaient castrés, après la puberté ou avant…
J-F : On s’est beaucoup attachés à Zhang, le personnage porte avec lui ce martyre quelque part et donc ses réactions sont rudes elles aussi. Puis est venue la mafia. La mafia, c’est terrible. On est toujours attiré vers les mauvais… (rires)
Maryse : Il fallait aussi expliquer pourquoi le fils aîné d’une famille de notables qui aurait dû être mandarin ou placé dans l’administration comme ils l’étaient tous normalement, va devenir eunuque puis chef de triade.
Juan : C’est précisément ce que l’on découvre dans ce tome 3. Dans vos albums, on retrouve souvent cet aspect très dur mais à côté vous essayez toujours de trouver quelque chose de positif et de beau. Est-ce une nécessité pour vous ?
Maryse : On ne peut pas être manichéen, personne n’est ni blanc ni noir, on est tous gris clair ou foncé avec toute la gamme.
J-F : Oui, et je pense que c’est comme ça dans la vie aussi. On ne peut pas n'avoir que du noir ou du négatif. Je ne pourrais pas vivre avec quelque chose d’uniquement noir. Ce n’est pas possible. Je ne peux pas m’imaginer avoir vécu une année avec uniquement du négatif dans une histoire, ni même une journée, je ne pourrais pas la vivre… la subir… Travailler par exemple une journée entière ainsi, ça casse le moral… et puis, il y a toujours un rayon de soleil. Je crois que c’est ça la vraie vie. On ne peut pas imaginer par exemple que les cinq années de guerre que nos parents ont connues étaient complètement noires. Même pendant le Covid, tout n’a pas été complètement noir, il y a des gens qui veulent le faire croire, mais ce n’est pas vivable. Si on fait une BD sur le Covid dans 20 ans, il ne faudra pas que toutes les couleurs soient gris-bleu parce que ce n’était pas vrai non plus, il y a eu de bons moments aussi, et c’est heureux.
Maryse : Même dans les camps de concentration il y a eu des histoires d’amour.
Patrick : Dans ses questions Juan évoque un aspect plus raffiné, protecteur de Li, voire paternel. Est-ce que c’est voulu ?
Juan : J’imagine que vous aviez bâti un scénario complet où l’on retrouve un personnage tel que Zhang qui devient chef de triade avec le passé qu’il a connu, qui devient de plus en plus dur et en même temps qui développe son rapport avec l’art. Puis il y a cette rencontre avec Li qui a un don pour le dessin. Aviez-vous justement prévu que leurs histoires se croisent et que leurs destins soient liés ?
Maryse : On est porté par l’histoire également. Les eunuques évidemment avaient leurs problèmes puisqu’ils étaient castrés, mais ils avaient toujours en eux l’envie d’être père. Pour eux, c’était extrêmement important d’avoir des enfants, d’avoir des héritiers d’où le titre…J-F : Parfois certains ont choisi de devenir eunuques alors qu’ils avaient déjà des enfants. C’étaient des personnages très raffinés et ils portaient leur intérêt sur d’autres choses : l’art, la peinture. En plus, c’est authentique, dans la Cité interdite, sauf erreur car je ne retiens pas bien les chiffres, il y en avait plus de 2000 je crois. Ils ont littéralement pillé la Cité interdite pour leurs collections personnelles. Certains sont ensuite devenus très très riches. Ils connaissaient très bien les objets de valeur, les trésors, etc. et n’hésitaient pas à les piller, c’était la porte ouverte à tous les abus … Parmi les romanciers, il y en a un qui nous a beaucoup influencés, c’est Lucien Bodard. Il est passionnant. Il est né et a vécu en Chine. Cela constitue aussi une documentation intéressante.
Juan : Justement au sujet de la documentation, est-ce que vous avez eu accès à tout ce que vous souhaitiez ?
J-F : Non, non.
Maryse : D’abord, on était en voyage organisé, avec un guide dans chaque ville, et un chauffeur parce que on ne peut quasiment pas se déplacer en voiture, ce n’est pas possible, c’est dangereux. On nous avait préparé à l’avance un très beau voyage avec des vols intérieurs mais toi tu as préféré le train, comme ça on voyait bien les paysages.
J-F : Ce qui comptait le plus c’était de s’en imprégner, c’était de voir l’immensité. Je me rappelle les réflexions de notre ami Claude pendant tout le voyage quand, par exemple, il nous faisait remarquer qu’on n’avait pas vu d’animaux dans les champs. On a traversé des steppes et Claude nous faisait remarquer que tout était très très gris. Ce qu’il faut savoir c’est qu’à une époque, le rouge était uniquement réservé à l’Empereur. Les murs devaient donc être peints en gris. C’est un univers très gris, avec un peu de rouge qui de temps en temps ressort, en commençant déjà par le drapeau. Mais à cette époque, c’était gris et assez triste quand même en majorité. Je pense qu’il fallait le voir. On a eu la chance d’avoir été très bien conseillé dans cette agence. C’est un Belge à qui on a dit ce qu’on recherchait. On a eu un très bon contact et il nous a choisi un voyage intéressant. L’hôtel par exemple, c’était le premier hôtel construit à Shanghaï. C’est une vieille gloire, l’hôtel Astor. La moquette était poussiéreuse. Mais notre chambre avait été occupée par un grand philosophe, Bertrand Russel, dans un décor des années victoriennes. Cela faisait un peu peur d’ailleurs. On avait une lampe de poche la nuit pour trouver où allumer la lumière. La salle de bain était immense. Les rideaux étaient du style des maisons hantées. Nos amis occupaient une chambre un peu plus loin où avait séjourné Charlie Chaplin. C’était intéressant et j’ai bien aimé. J’avais imaginé un autre hôtel mais en le voyant j’ai redessiné les cases, parce qu’à l’intérieur, c’était une véritable documentation. Et puis cette petite ville de Pingyao… Beaucoup d’immeubles ont été démolis mais on y retrouve du vrai, de l’authentique. L’hôtel faisait vieux, les portes ne fermaient pas bien, il y avait de la poussière, des toiles d’araignées… mais ça restait très intéressant.
Maryse : Ça manquait tout à fait de confort, mais on n’y allait pas pour ça. Les lits étaient en bois. C’était tout petit car chaque concubine avait sa pièce, son domaine privé très restreint.
Juan : Les lits devaient être un peu petits, non ? Ce n’est pas l’idéal pour des personnes de grande taille, je suppose.
J-F : Oui, les lits n’étaient pas très grands mais en tout cas très durs. Mais comme on était fatigués, ça passait (rires). Et il y avait des araignées. On a été piqués plein de fois. Les araignées ne me dérangent pas, mais pas dans le lit. (rires) Les toilettes, il paraît que c’est comme en Russie, tu ne peux pas y jeter le papier tant les tuyaux sont étroits et se bouchent facilement. Tu dois le jeter dans une poubelle. Toutes ces choses font qu’on s’en rappelle bien. À Pékin, on avait aussi un hôtel qui était très intéressant. On s’est baladé la nuit. Je voulais trouver une bouteille de vin. Il y a de la bière mais pas beaucoup de vin. Les Chinois ne boivent pas beaucoup de vin. On est allé se balader à deux pour essayer d’en trouver dans une boutique. Le vin était bon mais il était cher. Claude est arrivé et on a bu la bouteille ensemble. Il y avait une salle à manger avec des meubles anciens qu’on a photographiés. Je m’en suis servi, évidemment, pour dessiner dans la BD un meuble dans une pièce où se trouve Zhang. On peut trouver des images un peu partout mais ce qui est le plus difficile à trouver, ce sont celles d’objets de tous les jours. Je crois que c’est justement pour ça qu’il fallait aller sur place. Juan : Tous ces voyages que vous avez effectués vers ces cultures différentes, l’Égypte, l’Inde et maintenant la Chine, ont-ils modifié votre perception de la vie ? Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
J-F : C’est surtout la maison qui a été transformée car on a ramené plein d’objets de tous ces pays. On aime ça. On a la bougeotte et cela se voit du coup. Le métier de la BD est un métier de solitaire. On passe des heures et des heures dans son bureau, tous les collègues le disent. Donc le fait de voyager, de changer et de voir d’autres pays nous apporte énormément.
Maryse : On apprend toujours quelque chose d’autres pays, d’autres cultures.
J-F : Sincèrement, la Chine est un pays passionnant ; je trouve qu’on n’en a pas une idée exacte. On voit toujours les mêmes clichés comme "Made in China" ou ce qu’on veut bien nous apprendre de l’histoire du pays. Mais le fait d’aller sur place, c’est vraiment intéressant avec des gens très attachants.
Juan : Pensez-vous y retourner ?
J-F : Non, je ne pense pas car on va passer à autre chose. On s’y est beaucoup consacrés et on arrive à la fin de la série, mais ça a été passionnant.
Maryse : Oui, à Shanghai par exemple, dans un parc, tous les gens du troisième âge se retrouvent pour des chorales, de la gym, de la danse, certains jouent à la raquette, il y a de tout, c’est incroyable.
J-F : Ce que j’ai aimé, c’est qu’au début on est perdu. On ne comprend rien, tout étonne. Petit à petit on s’y fait et cela devient agréable… à part une chose, je peux le dire : la nourriture. Je ne m’y suis pas fait. (rires) On peut le dire parce que eux ne se gênent pas de le faire. Avec la nourriture chinoise, j’ai perdu 2,5 kg, que j’ai bien rattrapé après ! J’ai mangé des frites en rentrant ici pendant 15 jours, j’exagère (rires)
Maryse : Tu exagères… (rires)
J-F : C’était dur parce que ça n’a rien à voir avec la nourriture que l’on trouve ici dans les restaurants chinois. Par contre, nos amis se sont régalés. Je trouvais qu’on passait beaucoup de temps à table… avec par exemple des couennes de porc caramélisées…
Maryse : Le poulet, ils laissent tout, il est même servi avec la tête…
J-F : Au début, je faisais attention et je n’aurais pas osé dire que je n’aimais pas la nourriture. Mais l’un de nos guides, qui était très intéressant parce qu’à chaque fois qu’il parlait il citait des maximes, nous a dit qu’il était venu à Paris et que fort heureusement il avait emporté sa nourriture avec lui parce que d’après lui en Europe on ne mange que des pizzas. Donc puisque lui ne se gêne pas pour dire qu’il a mal mangé en Europe, moi c’est pareil. (rires) C’est vraiment des détails.Maryse : On apprend aussi les coutumes. Chez nous, lorsqu’on est invité, si on laisse dans l’assiette c’est considéré comme impoli, alors qu’en Chine, il faut laisser parce que sinon ça signifie qu’on n’a pas aimé. C’est amusant cette différence, cette autre façon de percevoir les choses. Lorsque la personne qui a organisé le voyage avec le guide nous a invités, il y avait un tas de plats différents, c’est normal car on est sûr de laisser. C’est curieux pour des gens qui ont pourtant souffert de la famine.
Juan : Je pensais que la série allait se limiter à trois tomes. Est-ce que c’est le fait de créer des personnages auxquels vous vous attachez qui vous a amené à faire ce quatrième tome ? Et peut-être même plus ?
J-F : La série se termine au quatrième.
Maryse : Les trois tomes en font déjà quasiment quatre, si on compare aux 46 planches classiques. Mais comme il y a à chaque fois plus de planches que le format classique, plus on avance, plus on se dit qu’il y a des choses à développer. Sinon, il y aurait énormément d’ellipses… et puis on se sentait bien dans l’histoire aussi...
J-F : Et puis au départ on ne pensait pas que le personnage de Zhang prendrait autant d’importance. Ensuite, on a eu envie de raconter son enfance, expliquer pourquoi il est devenu comme ça, pourquoi il y a cette dureté. Il y a le parallèle avec Mao aussi. On ne pouvait pas et on n’avait pas envie de raconter l’enfance de Mao. Mais l’enfance c’est ce qui conditionne toute la vie d’adulte. Forcément Zhang, il en a souffert, c’est le moins qu’on puisse dire. Ça explique aussi sa dureté. Ça raconte aussi un peu la Chine, parce que bien qu’elle ait un côté raffiné, il y a aussi cette extrême cruauté. Il y a des images, des photos qui soulèvent le cœur quand tu les vois même si là-bas ces photos sont assez banales finalement : on voit des gars qui sont garrottés, etc. avec des gens qui posent juste à côté… même des Occidentaux… ça ne remonte pas à si longtemps finalement. On parle aussi de la façon dont Mao a traité les gens… On ne faisait pas de quartier ! Il y a toujours eu de la cruauté dans toutes les révolutions, toutes les guerres. Mais là, ça a atteint des sommets. La vie humaine n’avait aucune importance… alors quand on s’intéresse à tout ça, c’est vrai qu’il faudrait tellement d’ellipses… On s’est documenté, de plus en plus, même si on n’est pas des spécialistes. Mais on n’a pas pu tout utiliser. Dans ce troisième tome, ça permettait aussi de reculer un petit peu dans le temps, de voir autre chose que Shanghai comme la campagne, etc. Il y aura donc bien quatre albums car on avait envie de prolonger, d’approfondir un peu la série.
Juan : A propos du scénario justement, est-ce qu’il était déjà bâti pour trois tomes ? Vous en aviez les grandes lignes dès le départ ?
Maryse : Oui, un synopsis mais ensuite, avec le temps, c’est vivant et ça évolue en fonction des rencontres, des nouvelles que l’on apprend.
Juan : Le dessin aussi, vous l’avez créé au rythme des planches ? L’histoire aussi peut évoluer du fait qu’une région ou l’un des personnages plaît davantage et vous incite à l’approfondir ou pas ?
J-F : Oui, par exemple, il y a des personnages qu’on a envie de tuer tout de suite. On ne les sent pas… On se dit : "Ah zut celui-là, il faut encore le dessiner". Mais il y a aussi des personnages sympas. Finalement c’est comme dans la vie. Celui-là j’aime bien le dessiner, il me plaît bien, il prendrait bien une certaine importance. Par contre, celui-là non. J’ai l’impression que dans les séries qu’on voit à la télévision, il se passe aussi ce genre de choses. Les scénaristes se disent : "Ah celui-là il joue mal, il est emmerdant, il n’a plus rien à dire, on le tue". Ça ne doit pas faire plaisir à l’acteur car du coup, il sait qu’il n’aura plus de boulot. Il doit se dire "je vais être tué dans le prochain épisode". C’est un peu comme ça aussi, comme des décors qu’on a envie de faire et d’autres pas. Je ne pourrais pas dessiner des quantités et des quantités de planches dans un univers trop dur. Car alors, je les subis. Quand j’ai perdu ma mère par exemple, je devais peindre une planche, tu te rappelles (en s’adressant à Maryse). C’était dans India Dreams, et j’ai peint la planche en me disant que ça allait m’occuper l’esprit, que j’y penserais moins, que je souffrirais moins. Cette planche était tellement sinistre. Forcément, tu vois les couleurs autrement, tu es influencé … On ne m’avait rien dit jusqu’à ce qu’une de nos filles me le fasse remarquer : "T’as vu ça ?!?" J’ai dit : "Quoi ?" Les perspectives, tout était bon. Mais oui, c’était vrai … ce n’était pas nécessaire que le ciel, à cet endroit précis, soit complétement gris… On vit avec ça. En tout cas, moi je suis comme ça.
Juan : Forcément ça transpire, ça se ressent sur le travail.
J-F : Oui je pense. Il faut faire attention aussi… c’est un an de boulot avec de très bons jours et des journées bien moins bonnes. Enfin, malgré le confinement, on a été plus sereins aussi. Ça aide énormément à se projeter et à vivre autrement.
Juan : Le fait que tu travailles sur une série et qu’en parallèle tu fasses par exemple un artbook ou l’album Faune qui sort très bientôt, le fait de travailler sur deux sujets différents, est-ce que cela t’aide ?
J-F : China Li était terminé quand on a commencé Faune. Moi, je pourrais difficilement faire ça. Je peux faire un petit truc entre deux, quelques planches mais pas deux albums différents en même temps. D’abord, il y a ce problème de documentation. Pour China Li, la doc sur la Chine occupe tout le bureau, le tien aussi (en regardant Maryse). Donc travailler sur autre chose, ça donnerait un cafouillage incroyable car qu’est-ce qu’on perd comme temps parfois à rechercher un document. J’ai vu ça quelque part mais dans quoi ? Non, non, je ne pourrais pas.
Maryse : Tu aimes bien aussi avoir des coupures entre deux albums.J-F : Normalement, l’idéal ce serait d’en finir un et de pouvoir ainsi commencer le nouveau. Mais je n’ai jamais pu le faire. Il a toujours fallu que je fasse quelque chose d’autre entre deux albums. Il faut garder l’enthousiasme aussi...
Maryse : … être content d’y revenir après avoir fait quelque chose d’autre…
Patrick : Du fait que vous travaillez sur des sujets situés à l’étranger, est-ce qu’il y a des membres de la famille, des amis, des lecteurs ou d’autres personnes qui vous signalent un couac, un petit anachronisme, ce genre de petites choses ?
Maryse : On a surtout des gens qui nous disent "on a envie d’y aller". C’est plutôt ça qu’on a comme réactions.
J-F : Oui, par exemple on a un gros problème à propos du lettrage. La calligraphie chinoise, sincèrement je n’y comprends rien. À Angoulême quand on dédicaçait une jeune femme chinoise est venue vers nous en disant qu’elle avait trouvé l’album très bien. Mais elle nous a avoué ne rien avoir compris dans ce qui était écrit en chinois. Quand on travaille sur un document, que je suis en train de dessiner, ici du texte calligraphié, je suis peut-être en train d’écrire une connerie. À une époque dans Pilote, ils avaient fait une illustration montrant des dessinateurs chinois qui représentaient une ville européenne. Ils avaient mis aussi des banderoles sur lesquelles il était écrit "petit pois extra-fins"… C’est compliqué, la calligraphie chinoise est quelque chose de magnifique mais il faudrait aller suivre des cours. La façon de tracer la lettre, moi ça m’intéresserait puisque c’est du pinceau. C’est magnifique, j’aime bien travailler avec le pinceau, ce n’est pas ce qui m’effraierait le plus mais il faut savoir comment commencer la lettre, c’est vraiment une angoisse.
Maryse : La façon d’appuyer sur le pinceau peut donner d’autres significations à la même lettre. C’est ce que cette dame nous avait appris. Par contre pour la traduction du français en chinois dans les bulles, on a vu un professeur à Paris et c’était très bien.
J-F : Oui, on y fait attention mais parfois on ne demanderait pas mieux d’avoir quelques conseils. Par exemple, pour le graphisme, Hergé a rencontré Chang. Nous, on n’a pas rencontré Chang. C’est lui qui a écrit des trucs dans le Lotus bleu. Des écrits anti-japonais aussi ! C’était en plein durant la période. On n’a pas rencontré Chang, on a rencontré cette dame qui n’avait pas beaucoup de temps et la calligraphie prend beaucoup de temps.
Maryse : Comme le lettrage sur la quatrième de couv. On voulait mettre "fils du dragon" et elle nous a dit que ce n’était pas le mot "fils" mais "héritier" qu’il fallait écrire. Toujours dans la même idée que la fille de l’eunuque…
J-F : Elle nous a donné un petit cours pendant près de deux heures, beaucoup de renseignements. Cela dit, elle n’a plus mis les pieds en Chine depuis son enfance pratiquement et c’est une dame d’un certain âge. Il nous a manqué du temps. Cet été aussi, on a rencontré une dame qui était venue en Auvergne tout à fait par hasard. C’est l’épouse d’un chinois qui vit en Chine. Elle fait de la traduction de romans et travaille pour des réalisateurs de cinéma, également d’Art et Essai. Elle ne nous a pas donné beaucoup de renseignements. On lui a donné l’album, elle a juste dit "c’est bien". J’aurais bien aimé rencontrer Chang et qu’il me fasse tous les lettrages car encore maintenant cela me fait peur…
Juan : Une question à propos de tes planches. Pour quelle raison passes-tu d’une planche avec des petites cases traditionnelles à une pleine page pour la suivante ?
J-F : Je crois que cela s’impose. Il me semble que même le scénario, le découpage l’imposent. Aujourd’hui, on peut se le permettre. Je me rappelle à l’époque où je faisais les Pionniers j’avais demandé à avoir 52 pages par exemple et on m’avait répondu non, c’est 46 pages, pas une de plus ou de moins, parce que c’est une question de cahiers … Maintenant tu peux le faire. Je trouve que ça s’impose par exemple lorsque Li rencontre Mao. On a hésité un petit peu à le faire, mais c’est important. Tout à l’heure on en parlait : Mao à l’époque c’est un homme influent, il avait énormément de conquêtes féminines parce qu’il avait le pouvoir, et aussi un côté féminin. J’ai un ami médecin qui a mis dans son cabinet un portrait de Mao qu’il avait acheté. Cela m’impressionnait toujours quand je le voyais. Il me l’a prêté. Il me semble que la rencontre avec Mao c’est un show ! Et n’en faire qu’une petite case de 12 cm… La Longue Marche, j’aurais pu la découper et en faire 30 petites cases. Mais finalement, une grande image, une grande illustration s’imposait. Le public de la BD entre là-dedans, ce sont des amateurs de dessin et donc on peut le faire comme ça aujourd’hui. A mon avis avant on pouvait moins le faire. J’aime bien dessiner ces grandes pages, c’est une récompense pour moi. Dessiner Shanghai dans une grande image c’est passionnant. Plutôt que de faire ça sur 12 cm, tu vois, car c’est toujours une frustration de la BD par rapport à la peinture ou l’illustration…Juan : Quelle taille font tes planches, A3 ou plus grand encore ?
J-F : C’est 30 x 42, ce n’est pas hyper grand mais il faut quand même les remplir. Je n’ai jamais assez de place de toute façon. Je ne dessine pas directement sur cette feuille. Je fais des dessins sur des feuilles libres, puis je reprends les morceaux qui m’intéressent à la table lumineuse. Il y a donc toujours des morceaux qui tombent, un petit bout de décor, quelque chose ça et là, qu’on a aimé faire et qu’il faut enlever au final. Il y a l’efficacité de la bande dessinée aussi, il faut un rythme, etc. Ça vient un peu naturellement. Je n’ai pas fait d’école de Bande dessinée, ça n’existait pas. Je n’ai pas travaillé en studio. Tout ça s’est fait naturellement.
Patrick : En tout cas, vous êtes resté un partisan du papier et du crayon
J-F : Absolument, mais oui… Pour les jeunes, l’ordinateur est quelque chose d’utile, mais moi j’ai mis tellement de temps… et puis utiliser un pinceau c’est magique ! J’ai une boîte avec tous les pinceaux. Il y en a certains que j’économise. Par exemple, s’il y a un visage de femme où il faut un trait extrêmement fin, je vais chercher tel ou tel pinceau puis après je le remets dans la boîte parce que c’est fragile, ça s’use. Quand le pinceau est bien effilé, etc. ça ne reste pas très longtemps, il s’use, je dois le préserver un peu. Si vraiment on ne veut pas rater quelque chose, un trait, il faut bien choisir le pinceau. C’est un métier de maniaque aussi.
Juan : Quels sont vos projets ?
J-F : On a deux ou trois projets pour le moment. On va s’en occuper dans six mois car il faut déjà savoir ce qu’on va faire avant d’achever le quatrième tome de China Li. Il va déjà falloir se préparer pour la recherche de documentation. Il faut déjà bien s’en imprégner car ce n’est pas quand le boulot précédent est terminé qu’on peut consacrer trois ou quatre mois à la doc. La recherche de documentation, c’est énorme. Le contact avec les éditeurs, les projets à présenter… Tout ça, c’est du concret. On a également un projet qui nous amènera à voyager aussi.
Maryse : On n’aurait pas assez de cette vie-ci pour arriver au bout de tous nos projets.
Juan : J’imagine. (rires)
Juan : Quelques mots de votre nouvel album, Faune ? Un album un peu grivois, cette fois ?J-F : Est-ce qu’on peut en parler ? Ici ? Je suppose qu’on va se revoir, j’espère.
Juan : J’espère aussi.
(Pour en savoir un peu plus sur Faune, l'interview continue ici)
China LI suite:
Patrick : Vous êtes vraiment des passionnés du travail. Ça ne s’arrête jamais.
Maryse : Il n’y a que lors de voyages itinérants que Jean-François ne dessine pas. Il dessine plutôt dans la maison d’Auvergne ou à la mer.
Juan : Il ne prend pas un carnet pour faire des croquis comme un carnet de voyage ?
Maryse : Si, ça oui, mais il ne fait pas de planches, évidemment.
J-F : Oui, des dessins rapides qui ne prennent pas trop de temps, en regardant ce qu’il y a autour, ce que je ne dois pas rater, et là, ça peut prendre un peu de temps. La photo, ça aide aussi mais il y a surtout la mémoire visuelle.
Juan : Et chez les dessinateurs, cette mémoire visuelle est très développée, je pense.
J-F : Un peu trop (Rires)
Maryse : Moi, je n’ai quasiment aucune mémoire visuelle mais plutôt auditive.
Juan : Vous vous complétez donc !
J-F : Mais oui, c’est vrai.
Juan : En tout cas, on vous remercie pour cette interview. C’est toujours très agréable de vous revoir.
J-F : Nous aussi car ça fait longtemps qu’on se connaît.
Juan : Mais chaque fois qu’on se voit, je n’ai jamais assez de temps pour poser toutes les questions que j’aurais aimé vous poser et en plus je suis assez timide, donc…
J-F : Nous aussi, je te rassure. Ce n’est pas facile non plus pour nous de sortir de notre antre et de voir tout de suite beaucoup de monde, de parler de ce qui a été fait.
Maryse : Et en plus c’est toujours en décalage, puisqu’on est déjà sur le quatrième et que c'est la sortie du troisième album.
Juan : Vous mettez les gens très à l’aise. C’est un réel plaisir. Un tout tout grand merci à vous deux et j’espère à très bientôt.
SDJuan & FPatrick
CHINA LI par Maryse et Jean-François Charles
Date de dernière mise à jour : 04/11/2021
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