INTERVIEW - BAUDOUIN DEVILLE
Incontestablement, l’album « Sourire 58 » est LA Bande Dessinée qu’il faut – coûte que coûte – avoir dans sa collection ! Pour les BD-philes de base, c’est le prétexte d’acquérir une bande dessinée non conventionnelle. Quant aux personnes (ou les heureux détenteurs d’un abonnement à 350 francs belges, tout de même) qui ont eu, à l’époque, l’opportunité de flâner dans l’enceinte du Plateau du Heysel, c’est l’occasion idéale de remonter le temps et de retrouver les émotions vécues en 1958. Et puis, pour ceux qui n’étaient pas présents à l’Expo 58, c’est l’occasion ou jamais de souffler les 60 bougies de l’événement bruxellois… avec l’initiateur du projet, Baudouin Deville / le scénariste, historien d’Art et journaliste sur Bel RTL, Patrick Weber / l’éditeur Nicolas Anspach. Le triptyque est magique et démontre que si un projet artistique respire la sincérité, il est envisageable de mobiliser les foules afin que le rêve se concrétise ! C’est, effectivement, ce qui s’est produit pour cette bande dessinée – à la fois historique et scénarisée tel un polar – qui, en quelques mois, a conquis 484 « édinautes » ! Grâce à ces généreux donateurs, le projet a vu le jour… et, aujourd’hui, la qualité artistique de « Sourire 58 » est reconnue par les aficionados du 9ème Art mais, aussi, par la presse culturelle spécialisée. Dès que le regard se pose sur la splendide cover, aux couleurs maîtrisées de Bérengère Marquebreucq, le « coup de foudre » est au rendez-vous. Que dire de la dextérité technique du dessinateur-biker qui s’implique, au maximum, sur chacun des dessins proposées ? Bref, la perfection est présente dans l’entièreté des cases de l’album ! A la fois accessible, sympathique, enflammé,… Baudouin Deville était LA personne à approcher afin d’en savoir davantage sur son parcours, ses oeuvres, ses passions, ses projets ! Rencontre avec un Rockeur aux doigts de fée…
Encore un immense merci à Messieurs Deville, Weber et Anspach pour leur disponibilité et leur gentillesse respective. Que le Tome 2 des aventures de Kathleen Van Overstraeten connaisse le succès de « Sourire 58 » !
MitchVH: Vous êtes né le 28 septembre 1956 à Liège. Comment décriveriez-vous votre jeunesse au pays de Tchantchès,… un lieu où, on a pour habitude de s’abreuver de Peket, de déguster des boulets, du boudin blanc, des gaufres de la région ?
Baudouin Deville: Je suis, en effet, né à Liège mais n’y ai jamais résidé. J’ai vécu dans la petite cité Mosane de Huy, entre Namur et Liège. Jeunesse paisible, donc, dans une petite ville de province, la même que celle où vécu Maurice Tillieux, le dessinateur-scénariste à l’origine des séries « Gil Jourdan », « Félix », « César et Ernestine »,… et qui a collaboré aux scripts de « Marc Lebut et son voisin » pour Francis Bertrand, « Jess Long » pour Arthur Piroton. J’ai quelques souvenirs de virées à Liège avec ma mère . On dégustait des glaces au Pré Normand ! Le boudin blanc, la salade, les frites étaient un menu régulier le dimanche soir à la maison ! Pas de souvenirs de Peket par contre…
MitchVH: Avez-vous une anecdote précise de votre première création Bande Dessinée ?
Baudouin Deville: Oui. Une série de gags en une planche bien pompés sur le « Modeste et Pompon » de Franquin. J’osais tout ! Je les ai retrouvés récemment mais difficile à dater. J’avais peut-être 11 ou 12 ans.
MitchVH: Est-ce un membre de la famille, un copain d’école,… qui vous a fait découvrir l’univers des phylactères ?
Baudouin Deville: Lors de mon 8ème anniversaire, j’a reçu une BD d’un ami. Un album de Roba. Il devait s’agir du tome 2 ou 3 de la collection « Boule et Bill ». Je me souviens de mon émerveillement en découvrant la couverture et le talent du dessinateur bruxellois.
MitchVH: Enfant, vous étiez plutôt un lecteur « Tintin », « Spirou »,… ?
Baudouin Deville: Tintin ! J’attendais, avec impatience tous les mardis matin, l’arrivée par la poste du journal plié en deux dans une chemise brune. A chaque fois, la découverte était au rendez-vous !
MitchVH: Pour quelles séries BD, quels héros… étiez-vous - à l’époque - dans un état d’émerveillement ?
Baudouin Deville: J’avais (et j’ai toujours) une grande admiration pour les incroyables aventures vécues par Bernard Prince (dont la majorité des 18 tomes a été dessinée par Hermann… et scénarisé par Michel « Greg » Regnier), Bruno Brazil (l’Agent « enfanté » par le tandem William Vance et le scénariste Louis Albert était, à la fois, d’une grande élégance et d’une désinvolture incroyable), Ric Hochet (la paire Gilbert « Tibet » Gascard-André / Paul Duchâteau a sorti plus d’une soixantaine d’albums… en 41 années), Michel Vaillant de l’incontournable Jean-Graton,…
EPHEC, ST GILLES, CENTRE DES ARTS DECORATIFS,…
MitchVH: Après avoir obtenu un graduat en Gestion d’Entreprises à l’EPHEC (École Pratique des Hautes Etudes Commerciales), vous décidez d’embrasser des études artistiques ! Qu’est-ce qui vous a passé par la tête… et - suite à ce « grand écart » au niveau de la scolarité - avez-vous été confronté au scepticisme de vos parents ?
Baudouin Deville: Mon père refusait que je m’inscrive à Saint-Luc dans le supérieur. En 1974, on écoutait ses parents ! J’ai donc fait des études plus classiques au départ. Une fois mes études terminées, j’ai bossé un an dans une multinationale américaine de produits pharmaceutiques. Je travaillais au département « Audit ». Ca m’emm… vraiment ! J’ai ensuite décidé de m’inscrire à l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Gilles sous la houlette d' Eddy Paape (un dessinateur, originaire de Grivegnée, à qui on doit les Séries
« Jean Valhardi, Détective », « Marc Dacier », « Luc Orient »,… et « Carol Détective ») qui m’a bien aidé, trois années durant, à developper mon talent. Mes parents m’ont finalement laissé libre dans mes choix.
MitchVH: Alors que la plupart de vos collègues ont étudié à l’Institut Saint-Luc, à La Cambre,… vous avez choisi de suivre vos cours de « Graphisme et Image » à l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Gilles. Pour quelles raisons avez-vous opté de poursuivre votre cursus dans cet établissement ?
Baudouin Deville: Je devais, tout simplement, gagner ma vie ! Les cours du jour étaient impossibles à gérer. J’ai dès lors choisi une formation « Cours du soir et samedi ».
MitchVH: Est-il vrai que, lors de ces études à Bruxelles, l’Académie des Beaux-Arts était dirigée par Eddy Paape… le dessinateur des séries « Luc Orient » (un héros de SF ayant vécu 18 aventures avec le Professeur Kala et la séduisante assistante, Lora), « Marc Dacier » (un reporter sans frontière s’étant distingué dans 13 aventures incroyables), « Jean Valhardi » (un autre baroudeur qui, à l’origine, avait été dessiné par Joseph « Jijé » Gillain),… ?
Baudouin Deville: Exactement… et ce fut un choc pour moi ! Eddy Paape était un grand professionnel qui m’a appris le B. A.-BA du métier. Il amenait parfois des planches de Luc Orient et on s’esbaudissait sur son travail. Je me souviens d’une anecdote. Un jour, il a amené une planche de « Roubak, ultime espoir » (le volume 15 des aventures SF de « Luc Orient »). Il manquait un anneau au bras d’un personnage. Il me dit : « Baudouin, vous allez retracer cet anneau ! ». Il devait faire un cm de large… J’étais tétanisé de « toucher » à la planche. Je le fis finalement. Quel souvenir !
MitchVH: Pour un jeune étudiant, cela devait être impressionnant de croiser Eddy Paape dans les couloirs ! Quels commentaires pourriez-vous partager à propos de cet artiste belge… qui, pour la revue « Spirou », avait travaillé sur de nombreuses planches de « Les histoires vraies de l’Oncle Paul » ?
Baudouin Deville: On avait énormément de respect pour lui. On connaissait sa carrière et c’était un excellent pédagogue. Je garde un excellent souvenir de ces trois années passées avec lui. Il était un redoutable encreur et possédait tous les trucs !
MitchVH: Au niveau des cours inculqués, qu’est-ce qui vous plaisait le plus ?
Baudouin Deville: Ce que j’affectionnais le plus ? Très probablement la composition des planches, le cadrage et les techniques d’encrage.
MitchVH: De cette époque de votre vie, avez-vous gardé des relations avec d’anciens camarades ? Parmi eux, certains sont-ils entrés dans la « sphère fermée de la BD » ?
Baudouin Deville: Bien évidemment ! Lors des festivals ou lors de séances de dédicaces, je croise Philippe Wurm (« Le cercle des sentinelles », « Lady Elza », « Les Rochester »,…), Olivier Grenson (« Niklos Koda », « Carland Cross », « La douceur de l’Enfer », « La femme accident »,…), Dugommier,… et, plus rarement, Marc Lumer qui - lui - vit aux Etats-Unis.
MitchVH: Début ’82, vous poursuivez - au Centre des Arts Décoratifs - des cours du soir afin de vous familiariser aux techniques publicitaires. Rêviez-vous, déjà, de monter votre propre boîte (Traits Graphic Design) lorsque vous appreniez le lay-out, la maîtrise de l’aérographe,… ?
Baudouin Deville: Parallèlement à la BD, j’avais besoin de nourrir ma technique avec d’autres cours. Je me suis donc inscrit dans une école privée (le C.A.D.) qui préparait aux metiers de la pub. J’y ai suivi des cours de layout et d’aérographe. Toujours le désir d’apprendre ! Il ne faut pas oublier que je devais rattraper mon manque de formation dû au fait que je n’avais pas fait Saint-Luc ou la Cambre.
MitchVH : Quand l’idée de faire de la BD vous a-t-elle traversée l’esprit… avec le projet de la Série « L’inconnu de la Tamise » ?
Baudouin Deville: Je voulais me lancer. En 1983, J’ai rencontré Patrick Schellkens de la maison d’édition Bédéscope qui m’a proposé un scénario qui me plaisait. Ce fut « L’inconnu de la Tamise »… une histoire qui plonge le lecteur dans le Londres de 1956. Alors que le vol de la momie de Pachacutec est perpétré au British Museum, on découvre - parallèlement à ce fait - un amnésique sur les docks ! Bref, un scénario « influencé » par les péripéties de Blake & Mortimer dans « La Marque Jaune » de Edgar P. Jacobs !
MitchVH: Après deux volumes édités chez Bédéscope (« L’inconnu de la Tamise » / « Le secret de Pachacutec ») et un tome (« Atomium 58 ») aux Editions Récréabull, vous entamez une autre Série… « Les esclaves de la Torpeur ». Aviez-vous accepté ce projet parce que le travail scénaristique de Alain String vous avait séduit… ou pour une autre raison ?
Baudouin Deville: En effet, le travail du scénariste Alain Streng me plaisait beaucoup et, plus particulièrement, celui sur « Saint Germain des Morts » (1985)… avec Denis Bodart. Nous avons commencé un travail de collaboration sur « Les esclaves de la torpeur ». Deux tomes sont parus (« Le papillon crucifié » en ’88 et « L’exorcisme de midi », une année plus tard) et j’en suis sorti ni heureux ni satisfait !
LA BD MISE ENTRE PARENTHESES DURANT… PLUS DE 20 ANS !
MitchVH: Après avoir sorti « Le papillon crucifié » (’88) et « L’exorcisme de midi » (’89), votre nom disparaît du milieu de la Bande Dessinée. Quels en sont les motifs ?
Baudouin Deville: Un ras-le-bol, total ! Ce métier de dessinateur était trop « solitaire » pour moi. J’ai décidé d’arrêter et de me lancer dans l’activité publicitaire. Chose que j’ai faite en devenant graphiste et illustrateur. Mes clients étaient des agences de pub et des entreprises.
MitchVH: Pourtant, en 2012, vous participez à « Le temps des hélices »… une BD pointue consacrée aux avions de la Seconde Guerre Mondiale !
Baudouin Deville: La vraie reprise fut en 2011 et le projet « Continental Circus » aux éditions Paquet, un éditeur Suisse. J’avais conçu des planches pour un magazine français « Moto revue Classic » qui racontaient des anecdotes sur de grands champions motos des années ’60 / ’70. Ces planches furent rachetées par Paquet qui en a fait un album, le premier de la collection « Carénage ».
MitchVH: Et en ce qui concerne « Le temps des hélices »… qui fut à l’initiative de ce projet collectif… et étiez-vous nombreux à faire partie de l’aventure ?
Baudouin Deville: Pierre Paquet - qui organise chaque année sur l’Aérodrome de Cerny La Ferté-Alais (dans l'Essonne, en France) un festival BD - en est à l'inspirateur. La BD « Le temps des hélices » est, un peu, le livre commémoratif de ce Meeting aérien à l'ancienne. Une grosse vingtaine de dessinateurs ont participé à ce projet. J’y ai, pour ma part, dessiné un P-51 Mustang !
MitchVH: Participer à un « projet collectif » semble être une expérience enrichissante puisque vous figurez aux génériques de « 1913-2013: Un Siècle de passion motocycliste », « La Cité de l’Automobile », « Népal » ! Que retenez-vous de ces rencontres avec des collègues, groupés autour d’une même passion ?
Baudouin Deville: Ce sont des « One-Shot », l’occasion de faire une grande illustration sur un thème défini. Une aération… doublée d’une expérience amusante.
UNE BD QUI SOUFFLE LES 60 BOUGIES DE L’EXPO UNIVERSELLE DE BRUXELLES !
MitchVH: Le 17 avril 1958, le Roi Baudouin inaugure - sur le plateau du Heysel - l’Expo Universelle… la première de l’après Seconde Guerre mondiale ! Le succès fut de taille puisque plus de 42 millions de visiteurs s’y sont rendus. La création de « Sourire 58 » ne s’improvise pas et le travail de recherche a dû être considérable. A qui doit-on ce projet… Est-ce une « commande » d’une instance culturelle belge, de votre éditeur,… ou une volonté de votre part et de votre scénariste Patrick Weber (il a, ne l’oublions pas, travaillé sur une trentaine d’albums… dont des « Alix » de Jacques Martin) de commémorer ce moment historique ?
Baudouin Deville: Je travaillais, comme graphiste, pour l’asbl Atomium. Mon job était de réaliser des créations de visuels pour une gamme de produits. Je me suis aperçu qu’il manquait une BD ! J’ai, dès lors, conçu une maquette. J’en ai parlé à Nicolas Anspach qui m’a mis en contact avec Patrick Weber. Le projet était né ! Aucune commande extérieure n’a donc été faite… Au départ, il s’agissait tout simplement d’une ambition purement personnelle… qui s’est, au bout du compte, concrétisée !
MitchVH: En 1958, vous n’aviez que deux ans et votre complice - lui - n’était pas encore né… Comment avez-vous travaillé afin de « percevoir » les atmosphères de cette période de la « Belgique joyeuse » ? Outre un travail d’investigation, je suppose que vous avez multiplié les rencontres avec les acteurs de l’époque…
Baudouin Deville: Effectivement, un immense travail d’investigation a été fait. Nous avons rencontré des « témoins » mais nous avons, aussi, visionné des films d’époque,… lu des articles de presse, des livres, etc. Toutefois, la rencontre avec la fille du Commissaire général de l’Expo fut incroyable et déterminante pour la concrétisation de « Sourire 58 » ! Jacqueline Moens de Fernig nous a en effet ouvert toutes grandes ses archives personnelles.
MitchVH: En amont, le boulot est propre à celui d’un journaliste ! Peut-on en déduire que Patrick Weber s’est occupé - seul - de l’aspect historique des choses ou avez-vous, également, contribué à cette tache ?
Baudouin Deville: J’ai énormément contribué à amener à Patrick mes sources d’informations. On peut dire que cet album s’est fait à trois, Patrick Weber, Nicolas Anspach l’éditeur et moi-même. Nous recoupions les infos. J’ai, personnellement, suggéré des séquences à Patrick dont notamment celle du téléphérique. Au départ, la séquence devait se dérouler dans un café !
MitchVH: A la fin de votre Bande Dessinée, une page entière a été consacrée à l’interview de Madame Jacqueline Moens de Fernig… dont les parents avaient, pour la circonstance, invité le gratin planétaire de l’époque (le Prince de Monaco, la Princesse Grace, le Président René Coty, Madame Indira Gandhi,… Brigitte Bardot, Romy Schneider, Georges Simenon, Fernandel, Audrey Hepburn, Fred Astaire, Walt Disney et bien d’autres). Cela devait être très impressionnant, ce défilé au Palais du Belvédère !
Baudouin Deville: Un éblouissement pour la jeune Jacqueline ! Elle se souviendra toujours de ce défilement incessant au Belvédère, les soirées huppées,… Chaque semaine, il y avait plusieurs réceptions. Je crois que le Commissaire a accueilli plus de 40.000 personnes au Belvédère !
MitchVH: En acceptant une telle mission, on est en droit de supposer qu’une certaine « attirance personnelle » pour l’Expo ’58 existe. Qu’en est-il exactement ?
Baudouin Deville: Il s’agissait - surtout - d’une époque passionnante… une période qui suit la guerre et où, tout est en croissance et demeure possible ! On en reviendra… Mais, il transparaît un élan, un optimisme par rapport à l’avenir. Le design de l’époque me passionne également, la mode, les voitures… Ah, les années ’50 !
MitchVH: Si mes informations sont exactes, Patrick Weber a - il y a des années - investi dans une plaque qui recouvrait l’Atomium à l’origine ! Etes-vous, comme votre complice, fasciné par le travail d’André et Jean Polak… les architectes de l’édifice bruxellois de 102 mètres de hauteur ?
Baudouin Deville: Effectivement, Patrick s’est offert une plaque qui recouvrait l’Atomium. Quant à moi, j’ai manqué la plaque à l’époque mais, qui sait, je finirai pas en trouver une ! (rires) Pour moi, la réalisation de cet édifice, c’est le rêve d’un architecte et de deux ingénieurs.
MitchVH: Si l’Expo de 1958 était LE moment phare en Europe, il ne faut pas omettre que c’est - aussi - l’époque où le monde est en train de se métamorphoser !
Baudouin Deville: Il est vrai que le monde était en pleine métamorphose… c’était la fin de la « Belgique de papa » ! La Belgique unitaire va bientôt se disloquer, la crise du Congo approche. Une certaine insouciance s’en va…
MitchVH: Alors que 43 nations se croisent sur une superficie de 200 hectares, le Mur de Berlin va être construit trois années plus tard. N’est-ce pas étrange d’organiser un tel événement fédérateur alors que l’on a conscience que Berlin va, dans un futur proche, être scindé par « idéologie politique » ?
Patrick Weber : A l'époque, on n'imagine pas encore le scénario d'un mur à Berlin. Cette Expo est résolument optimiste, elle veut croire en un monde meilleur grâce au progrès. C'est un peu naïf mais cela renvoie à un avis largement partagé à l'époque. Et c'est pour cela que Bruxelles devient un noeud politique et diplomatique... et un vrai nid d’espions !
MitchVH: Dans votre Bande Dessinée, vous signalez que Bruxelles n’était pas uniquement le théâtre des « amoureux » d’architecture, des touristes, de la presse internationale,… mais que la capitale était infestée d’agents secrets ! A ce propos, cela devait être cocasse de voir cohabiter l’URSS et les Etats-Unis sur le site du Heysel…
Baudouin Deville: On ne peut pas le prouver mais Alain Berenboom, l’écrivain belge qui a écrit le polar « Expo 58, l’espion perd la boule », est d’accord avec nous pour affirmer que le plateau du Heysel devait être infesté d’agents de différents pays. La confrontation est évidente avec les Palais des USA et celui de l’URSS qui se faisaient face… comme deux boxeurs sur un ring !
MitchVH: Au bout du compte, Ian Fleming aurait pu écrire un scénario d’espionnage pour une aventure de 007 ! James Bond - incarné par Sean Connery - devant démanteler un nid d’espions à Bruxelles, cela aurait pu faire un excellent long métrage, non ?
Baudouin Deville: Je partage cette impression… Malheureusement, les producteurs n’y ont pas songé ! C’est vraiment dommage…
MitchVH: Il y a peu, des associations anti-Léopold II avaient recouvert de peinture rose la statue équestre du deuxième Roi des Belges… un souverain qui a surtout joué un rôle très important dans la colonisation du Congo. Et dire que, sur le pavillon colonial, on retrouvait des Congolais ! Une chose impensable à notre époque…
Baudouin Deville: L’histoire du « village congolais » est, évidemment, une aberration. Un « zoo humain », un village factice… Il fut vite fermé après les protestations de différentes associations.
NEUF SPHERES D’ALUMINIUM TEMOIN D’UN COMPLOT…
MitchVH: Notre pays a organisé plusieurs Expositions Universelles… à Bruxelles (en 1897, 1910, 1935 et 1958), à Liège (1905 et 1939), à Gand (1913) ! N’est-ce pas incroyable pour une si petite nation ?
Baudouin Deville: Il est, en effet, incroyable que la Belgique ait organisé, à sept reprises, de tels événements. Je pense qu’il faut y voir une vitalité de notre « petit pays » et des visionnaires qui nous font - hélas - cruellement défaut aujourd’hui !
MitchVH: A propos de ces Expos organisées sur notre sol, avez-vous connaissance qu’un hommage BD existe ?
Baudouin Deville: Sincèrement, je ne sais pas ! Je pense que « Sourire 58 » est la première Bande Dessinée à rendre hommage aux Expos Universelles organisées sur le sol belge.
MitchVH: C’est dans un décor, sans la moindre erreur, que votre intrigue se dessine… Comprenez-vous que vos lecteurs puissent, à la fois, avoir l’impression d’être dans un « documentaire » et être le témoin d’une aventure fictive ?
Baudouin Deville: Les lecteurs ont aimé la reconstitution et l’intrigue. Faire un banal documentaire dessiné aurait été, à mon sens, ennuyeux. Je crois qu’ils aiment l’ensemble et, surtout, beaucoup ne se rendaient pas compte de l’importance de l’événement. Je crois avoir touché l’inconscient collectif et ravivé une fierté d’avoir organiser de telles expositions !
MitchVH: En ce qui concerne le complot proposé dans votre BD, a-t-il été inspiré d’un fait avéré ou totalement scénarisé pour la circonstance ?
Patrick Weber: Il est totalement scénarisé... Il fallait, quand même, réserver une place au roman et à la fiction. J'ai composé l'histoire à la manière des romans populaires de l'époque. Avec une trame volontairement fifties, oscillant entre le drame et la légèreté. J'avoue aussi avoir eu dans un petit coin de ma tête les scénarios du grand Edgar P. Jacobs qui m'ont toujours fasciné.
MitchVH: A travers la cinquantaine de pages présentées, vous avez semé quelques touches bruxelloises (un passant qui lâche un « godverdomme ! ») et/ou typiquement belges (des personnes dégustant des frites, du chocolat praliné, des fraises de Wépion ou se rendant dans un café pour boire une bonne chope) ! En observant votre héroïne principale (Kathleen Van Overstraeten, une jolie « hôtesse d’accueil »), vouliez-vous rendre un autre hommage à notre Plat Pays ?
Baudouin Deville: Je dois avouer que j’adore cette période et « oui », c’est un peu un hommage aux lectures de mon enfance et aux merveilleux dessinateurs qu’étaient Georges « Hergé » Remi, Edgar Pierre Jacobs, le dessinateur français Jacques Martin,… Inconsciemment, je pense qu’il y a une certaine « belgitude » dans cet album !
MitchVH: Hôtesse à l’Expo 58, c’est un vrai métier ! Elles ont appris à sourire afin d’accueillir le Monde… et devaient montrer que la Belgique était LA capitale du Monde ! Est-ce, pour ce motif, que vous avez intitulé votre album « Sourire 58 »… justement pour insister sur l’importance du rôle joué par ces charmantes demoiselles ?
Baudouin Deville: Accueillir 42 millions de visiteurs, en arborant le « fameux » Sourire 58, n’était pas un exercice aisé. Après avoir été drillées, les jeunes femmes étaient capables de déambuler dans les allées de l’Expo afin de répondre aux questions des curieux et autres abonnés. Ces hôtesses ont surmonté un véritable défi ! Elles ont, selon moi, fait un boulot extraordinaire.
MitchVH: Etre engagée comme hôtesse à l’Expo 58 n’était pas chose aisée… De plus, il me semble que les candidates étaient très importantes mais que le nombre de jeunes femmes sélectionnées était, quant à lui, assez faible. Toujours « tirées à quatre épingles », les hôtesses avaient des tenues - pour l’époque - assez avant-gardiste… mais, néanmoins, très convenables… voire chastes ! Avez-vous fait appel à un(e) spécialiste de la mode pour représenter les tenues vestimentaires exhibées dans votre album ?
Baudouin Deville: Grâce au Musée du Costume et de la Dentelle, nous avons pu faire des photos d’un des rares costumes existants et complets. Je ne remercierais jamais assez Caroline Esgain… la conservatrice du Musée d’avoir retrouvé ce costume dans les réserves et d’avoir pu en faire des clichés sous toutes les coutures !
MitchVH: Mis à part son boulot pour lequel elle a été recrutée, Kathleen - naïve et un peu cruche, dans un premier temps - va surtout se retrouver au coeur d’une affaire d’espionnage qui engage les plus grandes puissances de notre Planète. En pleine Guerre Froide, votre héroïne va vivre une aventure rocambolesque… digne de Tintin ! Partagez-vous, ce constat ?
Baudouin Deville: Rien à y redire ! Vous avez parfaitement compris l’histoire et assimilé les codes des années ’50 ! Il faut, en effet, se remettre à l’époque… une période où les femmes étaient - nettement - plus réservées qu’à notre époque.
MitchVH: Alors que la journée de travail de Kathleen devait être facile à gérer, le vol - au Pavillon du Vatican - du Christ Décalé est commis… et la jeune femme est convoquée par le Commissaire Skieve. Est-ce, à partir de cet état de fait, que l’existence de Kathleen Van Overstraeten va prendre une autre dimension… et qu’elle va devenir une autre femme ?
Baudouin Deville: Kathleen a surtout la désagréable sensation d’avoir été manipulée. Notre héroïne se pose de nombreuses questions et ne comprend pas la raison pour laquelle on la cherche. Cette situation l’agace et l’énerve au plus haut point. Elle sent quelque chose et veut comprendre… C’est ce moteur interne qui la pousse à aller de l’avant et à vouloir démasquer les traîtres.
MitchVH: Le nom que vous avez choisi pour l’Artiste ayant conçu le fameux « Christ Décalé » est… Svoboda qui, en langues slaves, signifie « Liberté » ! Est-ce délibéré ?
Baudouin Deville: C’est surtout historique ! Ce Christ est resté en Belgique et se trouve dans une église de Louvain-la Neuve…
MERCI AUX « EDINAUTES » POUR LEUR CONTRIBUTION FINANCIERE !
MitchVH: Afin que « Sourire 59 » puisse voir le jour, vous avez fait appel à un financement participatif. Quel montant deviez-vous atteindre afin que votre projet puisse être mis sur les rails… et aviez-vous une « dead-line » pour arriver à cette somme ?
Baudouin Deville: Non, il n’y avait pas véritablement de « dead-line » ! Enfin si, on devait - simplement - boucler à temps pour le 60ème anniversaire de l’Expo. On a demandé 25.000 euros et on en a obtenu 41.000 ! Grâce à cette somme, nous avons pu payer les droits de l’Atomium et, surtout, faire face à une impression du livre en deux langues… et, avec des quantités très importantes et non prévues au départ.
MitchVH: N’est-il pas, quelque part, incohérent que les soixante ans de l’Expo Universelle doivent obtenir l’intérêt du public pour que votre BD soit éditée ?
Baudouin Deville: Vous avez totalement raison, c’est totalement incohérent ! J’ai la conviction qu’il y a un peu de frilosité de la part de « certaines » maisons d’éditions et, surtout, des grandes… Je suis certain qu’ils regrettent, maintenant, leur manque d’audace ! (rires) Surtout que l’album, après deux mois d’exploitation, est toujours dans les bacs et passera - sans doute - tout l’été. C’est suffisamment rare pour le souligner !
MitchVH: C’est assez consternant de s’apercevoir que l’indifférence des politiques pour la culture soit si importante… et que, parallèlement à cela, la mobilisation de 484 « édinautes » permet à une BD, telle que la vôtre, d’être disponible pour le public.
Baudouin Deville: Il faut être objectif, on ne doit pas attendre grand chose de la part des pouvoirs publics pour faire cela. On s’est débrouillé comme des grands ! On avait une envie et une volonté inoxydables ! Et des gens du public nous ont fait confiance et nous ont suivi. Merci à eux !
MitchVH: En tout cas, le fait de remercier vos généreux donateurs est un beau geste de votre part… aussi noble que leur contribution !
Baudouin Deville: C’est normal ! Sincèrement, je pense qu’ils sont heureux d’avoir participé à « Sourire 58 ». Lorsque nous les rencontrons lors de séances de dédicaces, ils nous le disent…
MitchVH: Si vous mentionnez la marque « Artois », on notera que le logo « Côte d’Or » apparaît dans plusieurs cases de la BD. Ce placement de produits a-t-il contribué à l’élaboration de « Sourire 58 » ?
Baudouin Deville: Pour ma part, je ne considère pas cela comme étant du « placement de produits ». Nous n’avons pas été approché par ces firmes ! (rires) Cela fait simplement partie de la reconstitution historique.
MitchVH: La BD « Sourire 58 » connaît un vif succès auprès du public mais est aussi créditée d’excellentes critiques de la part de la presse spécialisée. A combien d’exemplaires, cette première édition a-t-elle été tirée ?
Baudouin Deville: Oui, le succès est là… pour notre plus grande satisfaction ! De plus, après avoir lu « Sourire 58 », la presse spécialisée a été très positive. Du côté francophone, nous avons édité 10.500 exemplaires… et 1.500 albums sont partis en Flandre. Chose très positive pour nous, les rotatives ont repris du service… 4.500 exemplaires de plus pour la version française et on va - très probablement - réaliser un retirage en néerlandais… avant de proposer d’éditer l’album dans d’autres langues !
MitchVH: Si je comprends bien… la BD « Sourire 58 » va être commercialisée dans d’autres pays ?
Baudouin Deville: On désire en effet commercialiser l’album dans d’autres pays ! Pour l’instant, nous sommes en train d’étudier une version en anglais. Il y aura, on l’espère, d’autres versions. Je n’en sais pas plus pour le moment !
MitchVH: La maison d’édition Anspach doit être aux anges… d’autant plus que deux autres projets sont programmés ! Qu’en est-il exactement… et reverra-t-on, dans les prochaines expéditions, cette chère et tendre Kathleen Van Overstraeten ?
Baudouin Deville: L’Expo ’58 ayant fermée ses portes, Kathleen va - bel et bien - embrasser une carrière d’hôtesse de l’air… à la Sabena. Alors oui, on reverra Kathleen! Ce que je peux vous dévoiler, c’est qu’elle va s’envoler pour l’Afrique et tomber en plein problème congolais ! Provisoirement, nous avons opté pour le titre « Léopoldville 60 »… mais rien n’est officialisé !
MitchVH: La maison d’édition Anspach doit être aux anges…
Nicolas Anspach: En effet, « Sourire 58 » bénéficie d’un très beau lancement. En voyant la qualité de notre travail, l’Atomium a décidé d’intégrer l’album dans leur communication pour les 60 ans de l’édifice. Cela nous a, bien sûr, aidé. Mais, dans le passé, j’ai été attaché de presse et éditeur pour différents projets et/ou galeries. J’ai donc un excellent carnet d’adresse ! Et la plupart de mes contacts ont été positifs au sujet de la bande dessinée. Un mois après sa sortie, l’album a été réimprimé. Pour un tirage cumulé de 15.000 exemplaires (pour la langue française) et 1.700 exemplaires (pour la traduction néerlandophone, « Glimlach 58 »). Dix semaines après, « Sourire 58 » est toujours dans le Top 3 des meilleures ventes à la FNAC City 2 (Bruxelles), et dans le Top 10 de plusieurs librairies en Belgique. Alors, bien évidemment, le sujet de l’Expo 58 interpelle moins le public en France. Dès lors, c’est en Belgique où tout se joue… Et, ce n’était pas gagné d’avance ! Baudouin et moi-même avions présenté le projet à différents éditeurs mainstream. Ils trouvaient que le projet était trop « Made In Belgium » et n’en ont pas voulu. Cet album est la preuve que l’on peut parler de la Belgique intelligemment et que le public s’intéresse à ce type d’histoire.
MitchVH: Et ce succès mérité arrive à point nommé… d’autant plus que deux autres projets sont programmés ! Qu’en est-il exactement ?
Nous travaillons, en effet, sur la suite de « Sourire 58 ». J’ai également un projet de traduction, et un autre d’une traduction d’un album en français. Cependant, c’est trop tôt pour en parler ! Le secteur de l’édition est très difficile. Il vaut mieux avancer prudemment, en proposant des albums de qualité.
MitchVH: Il est plus que probable qu’une version anglaise soit sur les rails et il est, également, prévu que l’album « Sourire 58 » soit édité dans d’autres langues ?
Nicolas Anspach: J’ai assuré moi-même l’édition de l’album en néerlandais. Nous voulions parler de la Belgique. Les auteurs sont Bruxellois. J’habite à vingt kilomètres de Bruxelles. Nous avons imprimé à Tournai. C’était une suite logique de publier « Glimlach 58 ». Pour le reste, des contacts sont pris. On est en discussion avec différents éditeurs.
MitchVH: Avez-vous déjà une date de sortie pour le Tome 2… et Patrick Weber s’occupera-t-il encore du scénario ?
Baudouin Deville: Non, pas de date sortie prévue pour l’instant ! Quant au line-up, on ne change pas une équipe qui gagne ! Nous sommes au mois de mai 2018 et je suis - déjà - dans les premières planches du tome 2.
MitchVH: Même s’il n’y avait pas - réellement - une dead-line pour la sortie de « Sourire 58 », vous souhaitiez néanmoins que la date de commercialisation coïncide avec le 60ème anniversaire de l’Expo 58 ! Qu’en est-il pour le Tome 2 (« Léopoldville 60 ») ?
Nicolas Anspach: Pour le tome 2, la date de publication coïncidera - surtout - avec les événements du Congo. Patrick Weber va profiter de ses vacances d’été pour écrire une partie du découpage. Il nous a remis un résumé de l’histoire en quelques lignes, et nous connaissons la ligne d’arrivée. Toutefois, il reste à définir les différents « piquets » pour slalomer entre… La décolonisation du Congo est un sujet sensible et nous devons éviter de prendre position ou de sombrer dans la caricature… La Sabena est plutôt un prétexte. Transformer Kathleen - notre héroïne - en hôtesse de l’Air, nous permettait de la faire voyager et de lui permettre d’aller au Congo. Passer d’hôtesse d’Accueil de l’Expo 58 à hôtesse de l’Air, nous semblait plausible.
MitchVH: Allez-vous, comme pour « Sourire 58 », faire appel à la mobilisation de « édinautes »… et quel montant envisageriez-vous d’atteindre ?
Nicolas Anspach: Probablement ! Nous avons été étonnés par la réactivité des « édinautes » et du public. On nous envoyait de la documentation ou des anecdotes sur l’Expo 58. Il y a eu un véritable échange qui est intéressant pour les auteurs et l’éditeur. « Sourire 58 » est le premier projet libre, 100% BD, à dépasser les 40.000 € de financement. Là-dessus, il faut enlever la commission de Sandawe (10%) et près de 6.000 € pour la création des contreparties et les frais d’envoi. Au final, il reste à peu près 29.000 euros… Cela a permis de rémunérer correctement les auteurs. La ligne claire est chronophage et épuisante. Cela permettra aux auteurs de toucher des droits bien plus rapidement… Nous étions obligés de travailler en « crowdfunding » (financement participatif). L’Atomium est une propriété privée, et il faut payer pour pouvoir utiliser la licence… Pour « Léopoldville 60 » (titre de travail), nous espérons - bien sûr - dépasser les 25.000 euros, qui était la somme demandée au départ pour « Sourire 58 ». Je ne me fixe pas d’objectif supplémentaire. Je suis épaté par la générosité des contributeurs. Ils ont compris, assez rapidement, notre démarche et notre profond respect pour l’Expo 58.
ADEPTE DE LA « LIGNE CLAIRE »… PROPRE A HERGE, JACOBS & CIE
MitchVH: Dernièrement, le dessinateur Olivier Neuray donnait « sa » définition de la « ligne claire » de la manière suivante: « Pour moi, c'est un graphisme épuré entièrement au service de la narration et qui, ensuite, est devenu une esthétique en soi. La recherche de la pureté graphique en a fait un style très élégant qui m'a passionnément attiré ». Qu’en pensez-vous et comment caractériseriez-vous ce « langage graphique » issu de l’Ecole belge de Bandes Dessinées ?
Baudouin Deville: Je rejoins complètement Olivier Neuray. Un style épuré au service de l’histoire et aller à l’essentiel. C’est le plus difficile à faire car ce style ne supporte pas l’erreur. On ne peut pas se cacher derrière des ombrages ou des effets. Il est très complexe de maîtriser la technique de la « ligne claire » et je mesure tout le chemin qui me reste à faire pour approcher la dextérité des grands maîtres
MitchVH: Affirmeriez-vous que les monuments n’auraient pas obtenus un tel rendu si vous aviez utilisé un autre « langage graphique » ?
Baudouin Deville: Je trouve que cela fonctionne bien. On aurait pu utiliser un autre style mais, personnellement, je le trouve parfaitement adapté à l’époque. Et, je crois que le succès du livre tient beaucoup à l’utilisation de cette technique de la « ligne claire » !
MitchVH: Pour la conception de vos dessins, êtes-vous un adepte de la « création traditionnelle » ou un utilisateur de l’outil « informatique » ?
Baudouin Deville: Personnellement, je suis plutôt pour la création traditionnelle: crayonné sur papier, encrage, plume et pinceau avec de l’encre de Chine. L’outil informatique apparaît plus tard pour certaines corrections, ajouts et, enfin, lors de la mise en couleurs.
MitchVH: Quels sont, selon vous, les points positifs et les principaux inconvénients de ces deux façons de travailler ?
Baudouin Deville: Je suis revenu au traditionnel. L’encrage informatique est, à mes yeux, froid et « trop » parfait. J’aime l’accident, la plume qui bave un peu à certains moments, et la fragilité. On a aussi des originaux qu’on peut revendre… chose que les dessinateurs utilisant - spécifiquement - l’outil informatique ne peuvent pas faire !
MitchVH: Sans conteste, LE personnage central de « Sourire 58 »… c’est l’Atomium ! Un édifice incontournable que vous aviez déjà croqué, en 1987, dans la série « L’inconnu de la Tamise ») et, en 2012, dans la série « Rider On The Storm » (« Bruxelles »). Comment percevez-vous, à travers les ans, « vos » différentes versions de l'Atomium ?
Baudouin Deville: La version la plus aboutie est évidemment la dernière, surtout qu’elle s’articule autour de l’Expo. Et l’Atomium a été construit pour l’Expo.
MitchVH: A la limite, on peut affirmer que vous avez une « certaine » tendresse pour l’Atomium… c’est Patrick Weber qui va être jaloux !
Baudouin Deville: Mais non, il ne sera pas jaloux ! (rires) Nous avons la même passion.
MitchVH: Vous arrive-t-il de « sécher » sur un dessin à réaliser ?
Baudouin Deville: Oui, il m’est arrivé de sécher ! Dur, dur de réaliser 52 pages et de maintenir le rythme.
MitchVH: Personnellement, j’ai été bluffé par votre dessin de la Place De Brouckère ! A l’époque, cette place du Centre de Bruxelles avait de l’allure, une grande fonctionnalité,… Toujours en pleins travaux, ce lieu n’aurait-il pas mérité que les architectes d’aujourd’hui s’inspirent du résultat obtenu en 1958 ?
Baudouin Deville: Je ne vous le fais pas dire ! J’adore faire de grands décors. Je vais remettre cela dans la suite « Léopoldville 60 » et cela me donnera l’occasion de faire de grands plans.
MitchVH: De jolis clins d’oeil sont réalisés lorsque, dans la cohue de l’Exposition, on croise des personnalités comme Annie Cordy, Romy Schneider, Lili Palmer, Daniel Gélin,… ou, encore, l’Orchestre de Sidney Bechet ! Assez subtilement, vous avez - aussi - rendu un hommage au maître du thriller, Alfred Hitchcock… et à Patrick Weber ! Votre scénariste joue, en effet, la « Guest-Star » dans le même cadre que celui du réalisateur britannique de « Psycho », « North By Northwest », « Vertigo », « The Trouble With Harry »,… D’autres honneurs ont-ils été rendus ?
Baudouin Deville: Vous oubliez le Roi Baudouin, le Commissaire Kendall de « La Marque Jaune », le maharadjah de Gopal et son serviteur Badala, l’ingénieur André Waterkeyn et Lucien De Roeck, le créateur du logo de l’Expo !
MitchVH: Quant aux véhicules proposés, je suppose que vous avez pris un immense plaisir à dessiner la Porsche rouge de Jean-Marc, les trams, bus,… et autres Dauphine, Side-Car de l’époque !
Baudouin Deville: Je dois avouer que j’adore dessiner les véhicules. Le design de l’époque les rend attachants. La ligne est pure. Il suffit de penser à la belle DS pour en être convaincu ! Lorsque je commence une planche où des véhicules vont apparaître, je sais que je vais m’amuser.
MitchVH: Qu’est-ce qui est, selon vous, le plus compliqué à dessiner… un personnage, où le caractère doit transparaître / un édifice, où les détails doivent être perçus /… une moto, où la vitesse doit être ressentie par les lecteurs ?
Baudouin Deville: En ce qui me concerne, ce sont les personnages… et la manière de faire passer une émotion. J’ai encore beaucoup à apprendre là-dessus !
LES « PERES » DE BAUDOUIN DEVILLE…
MitchVH: Vous avez, un peu plus haut, partagé votre admiration pour la technique utilisée par Hergé, Edgar Pierre Jacobs.,… Admirez-vous, par la même occasion, le dessinateur français André Juillard qui, lors de la création de « Les sarcophages du 6è Continent » en 2003, avait - lui aussi - offert le « premier rôle » à l’Atomium dans la seizième aventure de Blake & Mortimer ?
Baudouin Deville: J’ai adoré le travail de Juillard dans « Les 7 vies de l’Epervier »… une BD historique relatant, en douze volumes, les aventures d'Ariane de Troïl. Par contre, je suis moins fan de ses Blake & Mortimer (« La machination Voronov » (2000), les deux volumes « Les Sarcophages du 6ème Continent » (2003 / 2004), « Le Sanctuaire du Gondwana » (2008), « Le Serment des Cinq Lords » (2012), Le Bâton de Plutarque » (2014), « Le Testament de William S. » de 2016) ! Si je lui reconnais une belle maîtrise de ses planches et sa régularité, il lui manque une « certaine » théâtralité que Jacobs avait. Le sens de la mise en scène, la scénographie comme au théâtre. Alors que des images de Edgar P. Jacobs me restent dans la rétine, je n’ai pas cette sensation lorsque mes yeux s’attardent sur les planches de Juillard ! De plus Jacobs était un sacré conteur…
MitchVH: En parlant de dessinateurs s’étant « attaqués » à l’Atomium, on retiendra les trois hommages rendus par l’incontournable Franquin (cf. le premier volume de « Gaston ») / la version de Luc Morjaeu dans le 300ème numéro (« Le monument magnifique ») de Bob et Bobette / la représentation de Jean-Charles Kraehn dans « Le sacrifice », tirée de la série « Gil St-André » / l’évocation post-apocalyptique de Christian Denayer dans « … et ils ont appris le vent », issue de la BD d’anticipation « Gord » /… Finalement, notre « Atomium » est une véritable Star… un peu comme la Tour Eiffel !
Baudouin Deville: Il le mérite! Et puis, cela reste un bel exercice de dessiner ce monument !
MitchVH: A l’heure actuelle, par quels dessinateurs et/ou séries êtes-vous séduits ?
Baudouin Deville: Je suis séduit par les albums de Jean-François Charles. J’aime beaucoup la version Blake & Mortimer de Ted Benoît (« L’Affaire Francis Blake », datant de ’96 / « L’étrange rendez-vous » de 2001). Sinon, actuellement je ne lis plus beaucoup de BD ! Quand on en fait… le temps nous manque !
MitchVH: Que pensez-vous du travail de François Schuiten… un autre artiste « Noir-Jaune-Rouge » dont le coup de crayon est particulièrement maîtrisé sur les bâtiments ?
Baudouin Deville: Je suis au regret de vous dire que je n’ai pas lu ses dernières publications. C’est évident, son travail est très maîtrisé et François Schuiten n’a plus rien à prouver. J’attends son Blake & Mortimer avec… curiosité.
UN MORDU DES « DEUX ROUES »…
MitchVH: Dans le Neuvième Art », quel est votre « Maître »… et pour quelles raisons ?
Baudouin Deville: En réalité, j’en ai trois: Hergé, Jacobs et Martin. Je suis en admiration devant leur classicisme, leur précision, leur talent dans la narration,… Ce sont des Maîtres inégalés à ce jour !
MitchVH: Certains de vos collègues sont passionnés par la musique, le cinéma, la peinture,… d’autres - comme Christian Papazoglakis - sont des fanatiques de sports moteurs,… Comment est née votre passion pour la moto ?
Baudouin Deville: J’ai toujours été passionné par les deux-roues. Ma chambre d’ado était tapissée de motos. J’en rêvais et j’en bavais dès que j’en voyais passer une dans ma rue. Ma fréquentation des circuits, dans les années ’70, a aggravé ma passion !
MitchVH: Il est relativement rare que les auteurs de BD consacrent un projet aux motos… (sauf, peut-être, Christian Debarre avec la série « Joe Bar Team » / le regretté Charles Degotte avec « Les Motards » /…). En ce qui vous concerne, qu’est-ce qui vous a conduit à enfanter « Continental Circus » et la série des « Rider On The Storm » ?
Baudouin Deville: La création de « Continental Circus » et de la série « Rider On The Storm » est dû au fait que je faisais de la moto, que je vouais un culte au design des motos des seventies. Les plus belles et les mieux dessinées, à mes yeux ! Pas étonnant qu’aujourd’hui elles se vendent à prix d’or. J’ai moi-même craqué en achetant une Kawasaki 400 KH de 1976, un trois cylindres deux temps qui me fait dresser les poils sur les bras quand je la kicke !
MitchVH: Etre assidu des « deux roues » c’est aussi s’intéresser à l’histoire, la mécanique, l’évolution technologique,… Est-ce votre cas ?
Baudouin Deville: Oui exactement ! A une époque, je dévorais des revues de motos classiques et ce dans toutes les langues. J’ai publié des histoires dans des magazines français, belges, anglais et même suédois !
MitchVH: En 2010, vous décidez de consacrer un album (« Continental Circus ») au Championnat du Monde Moto… des années 1960-’70. Pour quels prétextes avez-vous choisi de réaliser le scénario, le dessin et la mise en couleurs… vouliez-vous, à tout prix, maîtriser la chose de « A à Z » ? Un peu à l’image d’un pilote qui multiplierait les risques pour être le plus rapide sur le circuit mais qui s’occuperait - aussi - du changement de roues, du ravitaillement d’essence, du design de sa monture !
Baudouin Deville: Vous avez bien vu ! On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Et puis, je connais à fond ce milieu et cette époque. Cela aurait été compliqué de trouver quelqu’un qui puisse être aussi documenté que moi ! Travailler avec un autre coloriste aurait été difficile. Les couleurs des motos, des cuirs à respecter… Il aurait fallu que je donne des tonnes d’indications au coloriste ! En faisant tout moi-même, nous avons gagné du temps…
MitchVH: La période 1960 / 1970 est une période assez étonnante… et dans bien des domaines ! Outre les compétitions sportives / le succès de champions comme Giacomo Agostini, Mike Hailwood, Phil Read, Barry Sheene /… Avez-vous d’autres choses que vous affectionnez de cette époque-là ?
Baudouin Deville: Les années ’70 sont extrêmement riches au niveau artistique et musical. Je suis un inconditionnel de formations rock telles que Deep Purple, Led Zep, Jimi Hendrix, The Who, Pink Floyd,… Une sacrée période qui a vu l’émergence de groupes majeurs, voire mythiques. J’ai vu Pink Floyd en 1977 au Sportpaleis d’Anvers pour la sortie de leur album « Animals ». Quel concert !
MitchVH: Au fait, avez-vous un groupe, un chanteur ou une chanteuse de prédilection ?
Baudouin Deville: Sans aucune hésitation, je nomme le groupe Pink Floyd et son co-fondateur Roger Waters. Je viens de le voir en concert avec son spectacle « Us And Them » au Sportpaleis… quelle claque!
MitchVH: Au niveau du Septième Art, avez-vous un acteur, un réalisateur… un film préféré ?
Baudouin Deville: Contrairement à ce que vous pouvez imaginer, il ne s’agit ni du « Bullitt » tourné en 1968 par Peter Yates, ni du « Le Mans » de Lee H. Katzin (’71)… mais de « Amadeus » réalisé, en 1984, par Milos Forman ! Un film magnifique qui a gagné huit Oscars (dont celui du Meilleur Film), quatre British Academy Film Awards, quatre Golden Globes, un DGA Award… Mon admiration pour cette oeuvre cinématographique étonne beaucoup de gens car il est à des années lumière de mon univers, de mon travail !
MitchVH: Avez-vous une passion débordante ?
Baudouin Deville: La Bande Dessinée, la Bande Dessinée,… et encore la Bande Dessinée ! (rires)
Pour voir plus de l'auteur de cette interview, Mitch VH:
Date de dernière mise à jour : 20/07/2018
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