LA MORT À LUNETTES
- Par asbl-creabulles
- Le 06/11/2020
LA MORT À LUNETTES
Scénario : Philippe TOME
Dessin : Gérard GOFFAUX
Couleurs : REDJ
Dépot légal : Septembre 2020
Editeur :
ISBN : 978-2-380-75148-2
Nombre de pages : 72
2005, Afghanistan. Un groupe de soldats américains s’apprête à intervenir sur le terrain appuyé par des drones en soutien aérien. L’opération est banale et bien préparée. Et pourtant elle va déraper et finir en carnage. Quelques mois plus tôt à New York, Malcolm vient de sortir de prison où il s’est converti à l’Islam, se faisant désormais appeler Malek. Il a trouvé un job de technicien de surface dans une chapelle. C’est là qu’il rencontre Alex, de son vrai nom Alexander Birke, un vieux juif d’origine allemande qui a connu la Shoah, passionné de gospel et de jeux d’échecs, qui tient absolument à lui apprendre les règles du jeu. Malek, noir ayant fait de la prison et musulman, est une recrue inespérée pour l’armée qui cherche depuis longtemps comment incarner de manière forte sa nouvelle campagne de publicité en ces périodes tourmentées. Il est approché par la sergente Amy O’Neal qui insiste pour qu’il s’engage, mais rien n’y fait. C’est lorsque son amie du moment le quitte que Malek apprend, par une ancienne relation, qu’il est le père d’une fille aujourd’hui âgée de 16 ans et qu’elle vient de disparaître. Comme l’armée semble impliquée au plus haut niveau dans sa disparition, Malek reprend aussitôt contact avec la sergente recruteuse Amy O’Neal. Lui compte bien comprendre ce qui s’est passé et l’armée en profiter pour mettre sur pied sa campagne de propagande.Mon avis: Quel dommage que Philippe Tome ne soit plus parmi nous pour voir ses deux derniers albums arriver sur les étals des libraires. Il en aurait été très fier et avec raison. "Rages" avec Dan Verlinden au dessin (lire notre chronique ici), tout comme "La mort à lunettes" avec Gérard Goffaux, sont deux très bons albums que je ne peux que vivement recommander.
Tome était peut-être davantage connu comme scénariste d’humour, notamment avec ses séries "Le Petit Spirou", "Soda" ou "Le Gang Mazda"…, mais on ne peut oublier ses excellents récits polar-thriller comme "Berceuse assassine" (Ralph Meyer au dessin) ou "Sur la route de Selma" ( Philippe Berthet au dessin) dont "La mort à lunettes" aurait dû être en quelque sorte la suite bien que constituant une histoire à part, hormis ce lien (expliqué par Goffaux dans le dossier en fin d’album) lorsque Malcolm Brown, notre Malek, se recueille sur la tombe de son frère Clément et de sa mère dans un cimetière située non loin de Selma. Tome nous offre avec cet album une très belle histoire sous forme de jeu d’échec ou chaque pion (personnage, ville ou drame) revêt toute son importance. Un polar bien noir (sans aucun jeu de mot) avec ses drames familiaux, ses drames nationaux mais aussi une très belle histoire d’amitié. Comme pour Rages, l’album aura nécessité presque une dizaine d’années pour voir le jour. Mais l’attente en valait largement la peine. Forts d’une amitié de 40 ans, Tome et Goffaux ont pris le temps de nous peaufiner une histoire hors pair.Au dessin, Gérard Goffaux a fait des merveilles, nous proposant de très belles pages, de très bons cadrages et de superbes cases à l’encrage puissant avec des personnages forts et crédibles, la splendide Horch P240 et de très beaux décors. Un très bon découpage aussi, où les images se succèdent parfois sans texte, car tout est dit dans les détails ou dans ce qu’elles suggèrent mais aussi entre les cases. On comprend, on visualise, on imagine, on complète sans même s’en rendre compte comme ces soldats et l’atmosphère du champ de bataille, comme Malek et son existence de noir musulman et sa vie sentimentale désastreuse ou comme Alex en manque de compagnie et d’amitié, etc. Autant d’histoires qui fonctionnent parfaitement et qui vont s’entrecroiser pour notre plus grand plaisir. Une belle mise en couleurs sépia de Redj avec quelques notes de rouge par-ci par-là mettant l'accent sur des points importants de l'histoire pour un résultat bluffant. Personnellement, j'aurais cependant aimé disposer d'une version en noir et blanc vu la qualité du dessin et de l'encrage de Goffaux. Le dossier de huit pages richement documentées en fin d’album apporte un éclairage complémentaire fort précieux.
Un album réellement "coup de cœur" qui complète avec brio la déjà belle collection de l’éditeur belge Kennes.
SDJuan