LA FIÈVRE D'URBICANDE
- Par asbl-creabulles
- Le 15/11/2020
Scénario : Benoît PEETERS
Dessin : François SCHUITEN
Couleurs : Jack DURIEUX
Edition :
ISBN : 978-2-203-20292-4
Dépot légal : Octobre 2020
Nombre de pages : 104
Énorme déception pour Eugen Robick, urbatecte de métier et concepteur de la cité d’Urbicande. En effet, sa proposition de construction d’un nouveau et dernier pont pour finaliser l’harmonisation de la cité a été refusée malgré ses nombreux courriers à la Commission des Hautes Instances et sa prise de parole devant cet organe gouvernemental pour défendre son projet. En rentrant chez lui dépité face aux arguments sécuritaires qui lui ont été opposés, il s’aperçoit que l’objet métallique soudainement apparu le matin même sur son bureau, une sorte de cube évidé, s’est légèrement modifié. Des pointes sont apparues à chaque extrémité de cet hexaèdre comme des bourgeons sur une plante. Il n’y prête guère plus attention tant la fatigue le pousse à aller se coucher. Le lendemain, Robick se rend compte que ce cube d’origine inconnue, fait d’une matière indestructible, s’est encore développé. Il s’est incrusté dans son bureau et dans le livre sur lesquels il l’avait posé, sans les abîmer, et il continue de croître d’une manière inquiétante même si cela se déroule de façon harmonieuse, sans déformer ou endommager ce qu’il traverse, simplement en s'élargissant et en fusionnant avec les objets, les murs, les bâtiments. Le cube finit par englober le bureau de Robick, puis sa personne sans jamais le blesser avant de le libérer, puis la pièce entière, l’immeuble, etc. tel le maillage d’un réseau. Et petit à petit, c’est la cité entière qui va se retrouver envahie par cette étrange structure.Mon avis: "La Fièvre d’Urbicande", deuxième tome (récompensé à Angoulême en 1985) de la série "Les Cités Obscures", en est certainement l’album le plus célèbre. Une longue réflexion sur l'homme et ses conditions de vie, ses rapports à l'urbanisation, à la ville mais aussi au pouvoir. La série, on le sait, évolue dans une sorte de monde parallèle au nôtre (tout en lui étant assez semblable par certains côtés), soumis à un régime totalitaire Tout y est soigneusement contrôlés par les autorités selon un équilibre bien planifié. L’apparition d’un cube va venir bouleverser ce schéma. Mais au final en couvrant la ville en formant un réseau, cette mystérieuse structure ne cherche-t-elle pas à tout réunifier, même provisoirement ?
Un scénario de Benoît Peeters déroutant dans lequel on se laisse transporter à condition de faire abstraction de nos limites, celles que nous connaissons, que nous avons acquises ou qui nous ont été inculquées.
Entrer dans l'univers de Schuiten et Peeters, c’est entrer dans un monde situé dans une autre dimension, c’est entrer dans leur imagination.S'il y a un bien un auteur dont on reconnaît le style au premier coup d'œil, c'est bien Schuiten. Un travail tout en nuances et inimitable (voir "12 La Douce", où un mécanicien fait tout pour sauver de la destruction la dernière locomotive à vapeur du modèle Atlantic 12).
"La Fièvre d’Urbicande" a été publiée chez Casterman dans le magazine (À suivre) dès 1983 avant de paraître en album de 94 planches en 1985, en noir et blanc. Et pourtant le récit avait été pensé en couleurs mais à condition de s’en tenir aux 48 planches standard. À l’époque, les auteurs ont fait le choix que l’on sait. D’où l’idée d’une mise en couleur intervenant après maintes rééditions N&B.
Ce projet ambitieux, confié au graphiste et illustrateur Jack Durieux, est étonnant.
On peut s’interroger sur la nécessité de s’aventurer dans un tel projet alors que la superbe version N&B se suffit à elle-même comme le confirme son succès (reconnu, on l’a dit, par le Prix du Meilleur Album à Angoulême dès 1985 et ses nombreuses rééditions). Mais la couleur apporte quelque chose d'impressionnant et de magique au travail si typique de Schuiten – une profusion harmonieuse de traits, de lignes, de hachures et détails finissant par créer une image, une planche, un album.Jack Durieux (à ne pas confondre avec son frère jumeau Laurent Durieux qui a mis en couleur Le Dernier Pharaon également dessiné par François Schuiten dans la série Blake et Mortimer) a parfaitement respecté le travail de Schuiten. Il souligne la beauté de la cité, un monde loin d’être froid et dépourvu de vie grâce à tous ces personnages également si typiques du dessinateur, qui applique un trait plus léger sur les arrière-fonds pour bien mettre en avant les premiers plans et en particulier les personnages.
La mise en couleur de Durieux dans des tons plutôt chauds et doux met en valeur le travail de Schuiten en y soulignant la lumière et les ombrages.
Elle est tout à fait respectueuse du travail d’orfèvre du dessinateur mais Jack Durieux a toutefois dû intervenir sur le trait, atténuer l’encrage initial pour que sa mise en couleur soit la plus naturelle possible.
On peut dire que pour cette version colorisée, Jack Durieux s’est réapproprié l’histoire.
Les deux versions continueront donc de coexister pour notre plus grand plaisir.
Album également édité en tirage de tête à tirage limité (700 ex.) avec ex-libris exclusif ( ce tirage de tête est chroniqué par M. Destrée très bientôt)
SDJuan