COUP DE SANG
- Par asbl-creabulles
- Le 17/09/2021
Intégrale
Scénario : Enki BILAL
Dessin : Enki BILAL
Couleurs : Enki BILAL
Dépot légal : Novembre 2020
Editeur : Casterman
Grand format
ISBN : 2-203-20839-2
Planches : 265
L’exposition DéconstruKt de Bilal chez Artcurial a déclenché chez moi, l’envie de relire ANIMAL’Z et JULIA & ROEM que j’avais lus respectivement à leur parution en 2009 et 2011 et que je n’avais pas aimés.
J’avais pu voir les originaux du premier et les cases de papier gris de toutes dimensions avec les personnages et les décors dans les mêmes teintes, à part quelques exceptions, n’avaient éveillé aucun intérêt chez moi si ce n’est le prix demandé pour en acquérir une (quelques milliers d’euros).
Je n’avais évidemment pas, après deux déceptions, acheté le troisième : LA COULEUR DE L’AIR.
Et voilà que ce 22 juillet, je sors du prestigieux bâtiment avec en main l’album de la trilogie COUP DE SANG en plus petit format et paru en 2020.
Oui, je l’avais aperçu à sa parution, peut-être hésité à l’acheter puis vite oublié.
Je l’ai terminé, je l’ai dégusté.
Je suis content car j’apprécie le dessin et les histoires d’Enki BILAL depuis ses tout débuts, j’ai même vu ses films imprégnés de son univers.
Et enfin, voilà que j’apprécie les albums qui pour moi étaient maudits.
Depuis LE SOMMEIL DU MONSTRE en 1998, les scénarios de Bilal sont montés d’un cran dans la complexité et l’originalité. Son dessin a suivi la même progression. Je me trompe peut-être mais ses albums sont destinés à un autre public que celui des amateurs d’une BD traditionnelle dans son récit et son exécution.
Ce dessinateur a dû voir un changement dans ses lecteurs.
Les récits SF dessinés sur scénario de Pierre Christin étaient déjà teintés de réflexions et d’actions politiques mais maintenant, les récits de Bilal ont une dimension universelle, humaniste, mondialiste. Ils se projettent dans un avenir complètement bouleversé par une technologie galopante et une planète à bout de souffle mais aux réactions imprévisibles.
Son dessin, son travail sur les couleurs, les matières expriment d’une façon extraordinaire tout ce qu’il imagine. Voici une courte introduction pour chaque livre de cette intégrale.
Avec ANIMAL’Z, le lecteur découvre la Terre complètement désorientée, dévastée, morcelée par des catastrophes naturelles hors normes.
Le COUP DE SANG est le nom de ce dérèglement climatique brutal.
Bilal choisit de rappeler que notre planète est un être vivant et qu’elle peut s’énerver.
C’est assez parlant en cette année 2021!
L’œil d’un dauphin remplit la première case.
Plus loin, un étrange capitaine avec son robot hippocampe pilote un bateau.
Sur un autre bateau, une femme parle dans un micro et se fait servir une boisson par son homard robot appelé Omar.
Du dauphin entré dans ce bateau par le lance-torpilles, s’extrait un homme qui exécutera la femme accidentellement. Il lui placera un pack d’hybridation et la lancera dans l’océan.
Les deux bateaux vont se heurter et deux des acteurs principaux vont ainsi se rencontrer.
Ensuite apparaissent encore trois personnages. Le professeur qui a créé les packs d’hybridation, son épouse et Kim sa fille aux étranges pouvoirs.
Il y a aussi deux cow-boys qui errent sur cette terre dévastée assis sur leur zèbre et qui se cherchent pour terminer leur duel.
Oui, je sais que cela paraît compliqué, fou et incohérent mais à la lecture, ça fonctionne et tout s’emboîte. Rien n’est laissé au hasard.
Bilal a dessiné toutes les cases une par une comme des petits tableaux dans une teinte dominante d’un gris légèrement bleuté avec du noir et blanc et les touches de couleur appropriées.
Le tout sur du papier gris
.JULIA & ROEM se passe sur la même Terre dévastée, morcelée mais dans un autre endroit.
Et les quelques êtres humains survivants semblent se réorganiser.
Cette fois, la teinte générale est l’ocre foncé du papier.
Les huit personnages de ce récit sont Lawrence dans sa voiture qui roule sur une route dans un désert, Merkt et Roem qu’il va croiser.
Ils s’arrêteront devant un immeuble où vivent Kyle, Tybb, Julia, Roem, Parrish et Helda. Tous les acteurs sont en place et Bilal avec maestria va pouvoir leur faire interpréter la pièce de Shakespeare intitulée vous vous en doutez : Juliette et Roméo.
Évidemment dans la pièce originale, il n’y avait pas Jojo le milan, Lawrence qui possède des médicaments miraculeux.
Le décor ici est aussi très différent car le sol s’ouvre pour laisser sortir des animaux et le ciel est de plus en plus épais.
Quelle force dans ce récit inouï, extraordinaire !
LA COULEUR DE L’AIR commence sur fond mauve pour présenter les nouveaux protagonistes naviguant dans un zeppelin, Garbage ! (Ça ne s’invente pas).
Un fond bleu verdâtre nous fait retrouver les héros du premier livre et un gris aux traits charbonneux, ceux du deuxième pendant que Julius et Roem ont été capturés par un cannibale mutant.
La fin du voyage est proche.
Tous ces personnages vont finir par se rencontrer.
La Terre prend les choses en main. Elle transforme les pays et les continents. Enfouit au plus profond les créations nocives et meurtrières, aspire le noir de l’horreur et rend ses couleurs au monde. Une harmonie s’établît entre les humains restant et les animaux qui leur viennent en aide.
Les intervenants retrouveront leurs couleurs et verront un nouveau monde se reconstruire.
Intérieurement, ils auront oublié progressivement leur vie antérieure et découvriront la nouvelle qui s’offre à eux.
Les surprises sont nombreuses dans ce reset total.
Quel tour de force a accompli Bilal en créant ce récit de 280 pages en 6 ans.
Une œuvre de toute beauté, si réfléchie, si aboutie qui se termine dans une apothéose de couleurs, de sentiments sur une planète neuve et virginale.
Et j’ai failli passer à côté.
Comme quoi, il ne faut jamais avoir peur de revenir sur sa première impression.
J’ai vécu la même expérience avec les Cités obscures de Peeters et Schuiten.
Regrettant les premières BD SF de Schuiten, je m’étais vite lassé des Cités. Mais après la visite d’une extraordinaire exposition je devenais fan absolu de cette série.
Merci Enki BILAL pour cette expo qui m’a permis de revenir sur votre œuvre et de mieux comprendre et enfin d’admirer LE COUP DE SANG.M.Destrée